Présentation d’un projet mené en classe de Terminale Abibac au lycée Faidherbe de Lille autour du roman de Jurek becker, Jakob der Lügner
par Christophe Lapalus[1]
Cet article vise à présenter brièvement les deux vidéos qui l’accompagnent et qui sont le fruit d’un travail en atelier sur les premières pages du roman de Jurek Becker, Jakob der Lügner. Il est né des interrogations suscitées chez les élèves par la lecture de l’incipit qui désempare. Le projet a des allures de défi. Il a en effet pour ambition de porter à l’écran ce que les deux adaptations cinématographiques n’ont pas ou à peine pris en compte : les trois premières pages du roman qui évoquent la fascination du narrateur pour les arbres. Le roman s’ouvre en effet sur un jeu de devinette. Des voix sans nom cherchent à mettre au jour les raisons du rapport singulier du narrateur aux arbres. Le jeu tourne court, la réponse est introuvable parce que multiple et liée à divers événements de la vie du narrateur : une chute du haut d’un pommier, la découverte de l’amour sous un hêtre, l’exécution de sa femme, Chana. Ces épisodes, aussi intimes et traumatiques soient-ils, n’expliquent pourtant que très partiellement la fascination du narrateur pour les arbres. La raison principale est ailleurs. Le narrateur pointe dans un nouveau paragraphe la violence symbolique d’un règlement qui prévoyait l’interdiction des arbres dans le ghetto polonais où il grandit avec ses parents et des milliers d’autres Juifs. Vingt-cinq ans plus tard, à la fin des années 60, cette interdiction qui reste incompréhensible à ses yeux continue de le hanter. Pour tenter de se libérer de ce passé obsédant, le narrateur finit par raconter l’histoire de Jakob, un habitant du même ghetto.
L’analyse de cet incipit suscite chez les élèves de nombreuses questions : Pourquoi le roman ne commence-t-il pas directement par l’histoire de Jakob ? Pourquoi commencer par cette évocation de l’arbre ? Qui est ce narrateur ? Pourquoi commencer par ce jeu de devinette ? Qui sont ces voix ? S’agit-il d’un prologue ? Ce passage est-il important pour l’intrigue ?
Ces questions
appellent évidemment des tentatives de réponse mais elles sont aussi et
peut-être surtout porteuses d’une dynamique initiée par les premières lignes du
roman. En égrenant ces interrogations, les élèves entrent dans le jeu de
devinette inaugural et ajoutent leurs voix à celles que le narrateur semble
entendre. La fin précoce du jeu sifflée par le narrateur est la marque d’une
impossibilité de se comprendre, malgré la bonne volonté évidente des joueurs
qui semblent chercher l’origine de cette fascination pour les arbres. Plus
largement, n’est-ce pas ici en filigrane l’indicible, l’incompréhensible de la
Shoah, dès les premières pages du roman ?
[1] Professeur d’allemand en section Abibac au lycée Faidherbe de Lille