Révolution française aux Antilles – Documents

Documents

1 – Saint-Domingue avant la Révolution

Doc. 1 : Les possessions coloniales en Amériques centrale et du Sud vers 1750

Haack Weltatlas, Stuttgart/Gotha, Klett, 2007, p. 205.

Doc. 2 : Les colonies dans les Antilles à la fin du xviiie s.

Atlas des Amériques, Les Atlas de l’Histoire, n°376, mai 2012, p. 35.


1.  L’économie de plantation

Doc. 3 : Le commerce triangulaire

Atlas des Amériques, Les Atlas de l’Histoire, n°376, mai 2012, p. 34.

Doc. 4 : L’Amérique au centre du commerce mondial

Atlas des Amériques, Les Atlas de l’Histoire, n°376, mai 2012, p. 32-33.

Doc. 5 : Esclaves préparant le tabac et râpant le manioc nécessaire à leur nourriture

Gravure, Histoire de la Guadeloupe sous l’Ancien régime, 1635-1789, Paris, 1928, repris dans Seghers, 1962.

2. Composition de la société

Doc. 6 : Composition de la population

  • à Saint-Domingue :
Beschreibung der westindischen Insel San Domingo, V. P. Malvet, Weimar, 1808, repris dans Seghers, 1962.  
  • dans les Antilles françaises en 1788-1789 :
 BlancsLibres de couleur (affranchis)Esclaves
Saint-Domingue (partie occidentale de l’île, sous domination française)40 00028 000452 000 (certain auteurs parlent de 700 000)
Martinique15 0004 85183 416
Guadeloupe13 4663 04485 461
Sainte-Lucie2 1591 58817 221
Manuel d’histoire Seconde, programme 2012.

Doc. 7 : La population des Antilles

Die Aufhebung der Sklaverei war durch die Nationalversammlung schon lange beschlossen worden. Der Konvent hatte sie als Gesetz erlassen. Er hatte vor bald drei Jahren den Kommissar Hugues nach Guadeloupe geschickt, um die Trikolore auch hier zu pflanzen. Der bloße Anblick von Blau-Weiß-Rote erregte alle Menschen auf den Antillen. Die Inseln lagen im Karibischen Meer durcheinandergemengt, mit englischen, panischen, französischen, holländischen, portugiesischen Fahnen, wie sie Piraten und Abenteurer auf dem Weg nach Amerika entdeckt und besiedelt hatten. Unerschöpfliche schwarze Menschenmassen aus Afrika hatten eine Schiffsladung Arbeitskraft nach der anderen abgegeben, nach die Urbevölkerung in den Bergwerken und in den Mühlen zugrunde gegangen war. Seit der Französische Revolution drehten die Sklaven ihre Köpfe in verzweifelter Hoffnung nach der vorüberziehenden neuen Fahne. Mit Spott sahen ihr die Plantagenbesitzer auf den Veranden der Villen nach und ihre Frauen und Töchter aus Hängematten.

Wiedereinführung der Sklaverei in Guadeloupe, dans Seghers, 1962, p. 64.

Doc. 8 : Les oppositions entre les groupes sociaux de Saint-Domingue

Die Kommissare [Sonthonax und Polverel] hatten zwar diktatorische Vollmachten in den Taschen. Wer aber sollte ihnen auf dieser Insel helfen, die Trikolore aufzupflanzen und zu verteidigen? Bestimmt nicht die Grundbesitzer; denn sie hassten uns. Wenn noch nicht alle geflohen waren, dann nur, weil sie mit einer raschen Änderung, mit der Ankunft der Engländer rechnete. Bestimmt nicht die zahlreichen kleinen Weißen – Geschäftsleute, Handwerker, Beamte. Denn die waren auf Treu und Verderb an ihre Kundschaft, die Reichen, gebunden. Auch nicht die Mulatten. Ob die reich oder arm waren, sie hassten die neue Gleichheit, die ihnen kein anderes Recht zudachte als den Negern. Gerade von diesen sich abzusondern, waren sie ihr Lebtag bemüht gewesen, vielleicht seit Generationen.

Das Licht auf dem Galgen, dans Seghers 1962, p. 137.

Doc. 9 : Stratification sociale à Saint-Domingue

Die Hausbesorgerin des Gutes Evremont trat unter dasselbe Vordach, das die zwei Männer beschattete. […] Sie verbeugte sich vor den Männern, weil sie ihnen als Schwarze im Rang unterlegen war, aber ohne Regung in ihrem ohnedies harten Gesicht, weil sie in diesen zwei jüdischen Händlern die kleinsten der „kleinen Weißen“, ihrem Herrn an Rang tief unterlegen, begrüßte.

Die Hochzeit von Haiti, dans Seghers 1962, p. 9.

3. Créolisation

Doc. 10 : Mode et manières de vivre chez les planteurs

Seit man in großem Maßstab, unter restloser Ausnutzung schwarzer Sklaven, Kaffee und Zuckerrohr pflanzte, war auf dem französischen Teil der Insel das häusliche Leben in den Gutshäusern so ausgeklügelt, so abgewogen, dass man, damit verglichen, sogar in Paris manch Annehmlichkeit entbehrte. Die Frauen und Töchter erinnerten gar nicht mehr an die Frauen und Töchter der ersten französischen Siedler. Um der Ansiedlung nachzuhelfen, hatte Paris damals die Insassinnen der Salpeterie, die wegen allerhand Diebstahls- und Prostitutionsdelikten bestraft worden waren, auf die entlegene Insel verfrachtet. Die Nachfolgerinnen schaukelten sich in Hängematten zwischen Decken und Dielen der Gutshäuser. Sie waren verblüffend weißhäutig unter der rasenden Sonne geblieben. Aus den Maschen der Hängematten guckten Zehen und Finger und Locken und rosa und gelbe Seidenwölkchen hervor. Pariser Schnittmuster fanden rascher Absatz als sonst ein Heimatprodukt. Die Haussklavin, die ihre Herrin mit einer Tasse Kakao oder Kaffen, mit einem Fächer oder mit einem Fliegenwedel bediente, fürchtete sich, etwas falsch zu machen oder zu verschütten. Ein geringes Versehen hieß, zur Feldarbeit versetzt zu werden, wenn nicht halbtot geschlagen.

Die Hochzeit von Haiti, dans Anne Seghers 1962, p. 8.

Doc. 11 : Le marché aux tissus de Saint-Domingue

Gravure d’Agostino Brunias, Londres, 6 octobre 1804.

Doc. 12 : Extrait du Dialogue créole, M. E. Descourtilz, années 1790-1802

 

Dauphin 2019

Doc. 13 : Portrait du Noir selon le député Dufay

Les noirs ne sont pas cruels […], ils sont patients, exorables, et généreux. Les noirs ont même le germe des vertus, ces vertus leur appartiennent, leurs défauts viennent seuls de nous ; ils sont naturellement doux, charitables, hospitaliers, très sensibles à la piété filiale, ils aiment la justice et ont le plus grand respect pour la vieillesse ; ces vertus, peuple français, les rendent encore plus dignes de toi.

Archives parlementaires, t. 84, cité dans Serna, 2014.

2 – Antilles et Révolution

  1. Les limites des Lumières et des premiers temps de la Révolution

Doc. 14 : Conséquences de l’esclavage : la révolte future des Noirs

Vous verrez alors quelle différence met la vertu entre des hommes qui secourent des opprimés, & des mercenaires qui servent des tyrans.

Que dis-je ? Cessons de faire entendre la voix inutile de l’humanité aux peuples & à leurs maîtres elle n’a peut-être jamais été consultée dans les opérations publiques. Eh bien ! Si l’intérêt a seul des droits sur votre âme, nations de l’Europe, écoutez-moi encore. Vos esclaves n’ont besoin ni de votre générosité, ni de vos conseils, pour briser le joug sacrilège qui les opprime. La nature parle plus haut que la philosophie & que l’intérêt. Déjà se sont établies deux colonies de nègres fugitifs, que les traités & la force mettent à l’abri de vos attentats. Ces éclairs annoncent la foudre, & il ne manque aux nègres qu’un chef assez courageux, pour les conduire à la vengeance & au carnage.

Où est-il, ce grand homme, que la nature doit à ses enfants vexés, opprimés, tourmentés ? Où est-il ? Il paroîtra, n’en doutons point, il se montrera, il lèvera l’étendard sacré de la liberté. Ce signal vénérable rassemblera autour de lui les compagnons de son infortune. Plus impétueux que les torrens, ils laisseront partout les traces ineffaçables de leur juste ressentiment. Espagnols, Portugais, Anglois, François, Hollandois, tous leurs trans deviendront la proie du fer & de la flamme. Les champs Américains s’enivreront avec transport d’un sang qu’ils attendaient depuis si long-temps, & les ossements de tant d’infortunés entassés depuis trois siècles, tressailliront de joie. L’ancien monde joindra ses applaudissements au nouveau. Par-tout on bénira le nom du héros qui aura rétabli les droits de l’espèce humaine, par-tout on érigera des trophées à sa gloire. Alors disparoitra le code noir ; & que le code blanc sera terrible, si le vainqueur ne consulte que le droit de représailles !

En attendant cette révolution, les nègres gémissent sous le joug des travaux, dont la peinture ne peut que nous intéresser de plus en plus à leur destinée.

Abbé Raynal, Denis Diderot et al., Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes, Amsterdam, 1770, p. 204-205. Disponible sur Gallica.

Doc. 15 : Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 1789

Les représentants du peuple français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir  […] en soient plus respectés ; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous. […]

Article 1er

Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.

Article 2

Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression.

https://www.conseil-constitutionnel.fr/le-bloc-de-constitutionnalite/declaration-des-droits-de-l-homme-et-du-citoyen-de-1789

Doc. 16 : Revendications de libres de couleur

S’il n’existait pas une distinction d’ordres [à Saint-Domingue], il y avait, et il existe encore, à la honte de l’humanité, une distinction de classe ; d’abord on ne rougissait pas de mettre entièrement à l’écart, et d’abaisser au nombre des bête de somme, ces milliers d’individus qui sont condamnés à gémir sous le poids honteux de l’esclavage. Ensuite on faisait une grande différence entre les citoyens de couleur affranchis et leurs descendants, à quelque degré que ce fût, et les colons blancs. Ceux-ci, coupables encore de l’esclavage qu’ils ont introduit, qu’ils alimentent, qu’ils perpétuent, et dont ils ont cependant la barbarie de faire un crime irrémissible aux citoyens de couleur.

Lettre des citoyens de couleur des îles et colonies françaises, 23 novembre 1789.

2. Information et débats

Doc. 17 : Clubs de discussion à Paris

„Ich habe mich in Paris um alles gekümmert, als sei ich bereits in Haiti wohnhaft, ja, hier geboren. Ich wurde ein ständiger Gast in de Café, in dem die Mulatten sitzen; Sie waren nicht übel; sie wussten manches zu denken und zu sagen. Ich war ein Gast in der ‚Gesellschaft der Freunde der Schwarzen‘. Du hast vielleicht in der Zeitung den Namen von Lafayette schon gelesen. Vielleicht auch von Robespierre, der ein Anwalt ist. Er fordert die Bürgerrechte sogar für die Schwarzen. Er hat sie noch nicht für sich selbst, und er will sie für alle, für Juden, für Indios, für Neger, für Mulatten. ‚Jetzt sind sie alle verrückt in Paris‘, sagt Léon, ‚und deine Verrückten, Michael, sind die Allerverrücktesten.‘

Verstehst Du das, Mali? Jetzt, wo viel von den Bürgerrechte die Rede ist, will sie zwar jede Gruppe für sich, aber um Gottes willen nicht für alle. Jeder will schon im Voraus, dass sie etwa Besonderes sind, falls er sie auch bekommt, verstehst du?“

Die Hochzeit von Haiti, dans Seghers 1962, p. 21.

Dans cet extrait, c’est le personnage principal, Michael, qui parle à sa sœur de ce qu’il vient de vivre à Paris avant son arrivée récente à Saint-Domingue. Léon est un cousin resté à Paris.  La fin de Der Schlüssel évoque aussi la Société des Amis des Noirs.

Doc. 18 : L’information des esclaves

Die Negersklaven in Haiti, sagte er, hätten genau gewusst, was in Frankreich geschah. Beim Bedienen hätten die Haussklaven zugehört, worüber die Tischgesellschaften sprachen: die Demonstrationen, der Zug nach Versailles, der Sturm auf die Bastille, die Beschlüsse der Nationalversammlung.

Das Licht auf dem Galgen, dans Seghers 1962, p. 136-137.

Doc. 19 : Revendications d’esclaves

Messieurs,

[…] Souvenés-vous que nous Nègres, tous tant que nous sommes, nous voulons périr pour cette liberté, car nous voulons et prétendons de l’avoir à quelques prix que ce puisse être, même à la faveur des […] canons et fusils. Comment depuis combien de centaines d’années, nos pères ont été assujettis à ce sort qui rejaillit jusqu’à présent sur nous. Est-ce que le bon Dieu a créé quelqu’un esclave ? Le Ciel et la Terre appartient au Seigneur Dieu ainsi tout ce qu’il renferme. Vous avés subornés nos précédents, non seulement eux, mais encore leurs descendants, cela n’est-il pas horrible, Messieurs, il faut croire en vérité que vous soyiés bien inhumains pour ne pas être touché de la commisération des souffrances que nous endurons. La Nation même la plus barbare fondrait en larmes si elle savait nos maux ; je vous laisse un peu à penser avec quelle promptitude chercherait-elle à abolir une loi si odieuse ; enfin c’est en vain que nous vous prenons par des motifs de sentiments et d’humanité car vous n’en avés pas. Mais à la faveur des coups nous l’aurons, car nous voyons que c’est le seul moyen d’en venir à bout. […]

Messieurs. Nous avons l’honneur d’être

[Signé par] nous Nègres.

Extrait d’une lettre adressée à M. de Molerat, commandant militaire de Saint-Pierre (Martinique), le 28 août 1789. Les fautes de français sont dans l’original.

3. Les révoltes à Saint-Domingue

Doc. 20 : Vue de l’incendie de la ville du Cap-Français

Gravure de J.-L. Boquet, 21 juin 1793.

Doc. 21 : L’insurrection des esclaves, 1791-1793

Gravure, 1797, musée d’Aquitaine, Bordeaux.

3 – Les étapes de l’abolition

  1. La première abolition

Doc. 22 :La révolte de 1791 et l’envoi des commissaires civils

Scheinbar plötzlich, im August 91, hätten sich alle Nager auf Haiti erhoben, hunderttausend auf mehr als zweihundert Zuckerplantagen, sechshundert Kaffeeplantagen, zweihundert Baumwollplantagen und anderen. Sie seien von Farm zu Farm gezogen; bald hätte das Zuckerrohr gebrannt, die Gutshäuser hätten Feuer gefangen, die ganze Insel hätte gebrannt, es hätte bis in den Urwald gezüngelt und bis in die Städte hinein. Es habe lange so ausgesehen, als sei die beste, die wertvollste Insel für Frankreich verloren, wenn nicht durch die Brände, dann durch die Engländer, die sie jeden Tag überfallen und schlucken konnten.
Der Konvent hätte zuverlässige und entschlossene Männer nach Haiti geschickt, drei Kommissare – einer von ihnen hieß Sontonax –, von Militär begleitet, mit Vollmächten ausgestattet. Die alten großen Reiche, England und Spanien, in ihrer Wut auf die junge Republik, hätten den Ozean belauert, von der Biskaya bis Westindien. Aber sie seien angekommen. […]
Der Kommissar Sontonax sah ein, dass ihm keine anderen Bundesgenossen blieben als die Neger. Aber wollten die ihm helfen? Die misstrauten den Weißen, ihrem Freiheitsgerede. Wenn auch die Weißen diese Revolution begonnen hatten – wahrscheinlich, so dachten die Neger, war es nur ihre eigene Revolution, mit Vorteilen nur für die Weißen, mit Freiheit und Gleichheit nur für die Weißen.

Das Licht auf dem Galgen, dansSeghers 1962, p. 136-137.

Doc. 23 : Les divisions autour de la question de l’abolition

In Frankreich waren die Grundherren verjagt, die Leibeigenschaft war abgeschafft. Die Grundbesitzer von Haiti weigerten sich entschieden, das Lilienbanner mit der Trikolore zu vertauschen. Ihr Kaffee, ihr Zucker, ihr Indigo, das war ihr Erbe und ihr Besitz, das war auch der Stolz und der Reichtum Frankreichs Es sie unvorstellbar, hieß es, die Güter ohne die Sklaven zu bestellen. Die Aristokraten von Haiti brauchten nicht wie die von Paris nach London zu fliehen. Sie brauchten nur die englischen Kriegsschiffe aus den Häfen der Nachbarinsel herüberzurufen.
Die Kommissare [aus dem Konvent] und ihre Soldaten hatten auf die Hilfe der armen besitzlosen Weißen gebaut, der kleinen Weißen, wie sie in Haiti hießen. Doch was es an Weißen dort gab, war auf selten der Grundbesitzer. Wo sollte man hier eine Stellung finden, wenn keiner mehr da war, der einen bezahlte? Man konnte nicht einmal Friseur oder Schreiber werden ohne Leumundszeugnis von einem angesehenen Namen. Hier in der Kolonie war der Hunger noch bittere als daheim in Frankreich. Man ging vor die Hunde, und wie vor die Hunde! Ohne sicheres Dach hatte man die Wahl, an Malaria umzukommen oder an Typhus oder an Schlangenbissen.
Die Kommissare hatten sich darauf an die Mulatten gewandt. Sie hatten noch auf dem Schiff geglaubt, die Mulatte würden sie mit offenen Armen begrüßen. Sie kamen ja, zuerst das Gesetz ihrer Gleichberechtigung durchzuführen, das die Aristokraten erbitterte. Die Begeisterung der Mulatten war aber rasch abgekühlt, als sie hörten, wieviel Freiheit auf einmal in Paris zugestanden wurde. Aufhebung der Sklaverei? Was sollte den Mulatten, die länger selbst ihre Sklaven hielte, die Gleichberechtigung nutzen, wenn man ihnen auch die Sklaven nahm?

Die Hochzeit von Haiti, dans Seghers 1962, p. 33-34.

Doc. 24 : Proclamation du 29 août 1793 à Saint-Domingue

Aujourd’hui les circonstances sont bien changées ; les négriers et les anthropophages ne sont plus. Les uns ont péri victimes de leur rage impuissante, les autres ont cherché leur salut dans la fuite et l’émigration. Ce qui reste de blancs est ami de la loi et des principes français.

La majeure partie de la population est formée des hommes du 4 avril. De ces hommes à qui, vous devez votre liberté, qui, les premiers vous ont donné l’exemple du courage à défendre les droits de la nature et de l’humanité ; de ces hommes qui, fiers de leur indépendance, ont préféré la perte de leurs propriétés à la honte de reprendre leurs anciens fers. N’oubliez jamais, citoyens, que vous tenez d’eux les armes qui vous ont conquis votre liberté ; n’oubliez jamais que c’est pour la République française que vous avez combattu, que, de tous les blancs de l’Univers, les seuls qui soient vos amis sont les Français d’Europe. […]

Ne croyez cependant pas que la liberté dont vous allez jouir soit un état de paresse et d’oisiveté. En France, tout le monde est libre et tout le monde travaille. […] Rentrés dans vos ateliers ou chez vos anciens propriétaires, vous recevrez le salaire de vos peines ; vous ne serez plus assujettis à la correction humiliante qu’on vous infligeait autrefois ; vous ne serez plus la propriété d’autrui ; vous resterez les maîtres de la vôtre, et vous vivrez heureux.

Devenus citoyens par la volonté de la nation française, vous devez être aussi les zélés défenseurs de ses décrets ; vous défendrez, sans doute, les intérêts de la République contre les rois, moins encore par le sentiment de votre indépendance que par reconnaissance pour les bienfaits dont elle vous a comblés. La liberté vous fait passer du néant à l’existence, montrez-vous dignes d’elle : abjurez à jamais l’indolence comme le brigandage : ayez le courage de vouloir être un peuple et bientôt vous égalerez les nations européennes. Vos calomniateurs et vos tyrans soutiennent que l’Africain devenu libre ne travaillera plus. Démontrez qu’ils ont tort ; redoublez d’émulation à la vue du prix qui vous attend ; prouvez à la France, par votre activité, qu’en vous associant à ses intérêts, elle a véritablement accru ses ressources et ses moyens.

Article 1er : La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen sera imprimée, publiée et affichée, partout où besoin sera, à la diligence des municipalités dans les villes et bourgs, et des commandants militaires dans les camps et postes.

Article 2 : Tous les Nègres et sang-mêlé actuellement dans l’esclavage sont déclarés libres pour jouir de tous les droits attachés à la qualité de citoyen français ; ils seront cependant assujettis à un régime dont les dispositions sont contenues dans les articles suivants […]

Article 9 : Les Nègres actuellement attachés aux habitations de leurs anciens maîtres seront tenus d’y rester : ils seront employés à la culture de la terre […]

http://education.eurescl.eu/index.php/fr/histoire-trace-des-raites-et-esclavages/abolitions/64-l-acte-d-emancipation-des-esclaves-a-saint-domingue-1793

2. Les députés des Antilles

Doc. 25 : la citoyenneté par la vertu

Comment coquin, tu oses être officier dans un régiment ; tu as l’insolence de vouloir commander des blancs ? Et pourquoi pas ? leur répondit mon collègue (et avec une fierté énergique, l’expression de celui qui sent profondément sa dignité d’homme) ; je sers depuis vingt-cinq ans sans un reproche, et quand on sait sauver des blancs et les défendre, on peut bien les commander.

3. Les débats sur l’abolition à Paris

Doc. 26 : La traîtrise des planteurs blancs

Que tous les français se réveillent donc de leur léthargie ; qu’ils ouvrent enfin les yeux sur ces colons perfides, sur les serpents qu’ils réchauffent dans leur sein. Jamais les Anglais n’ont eu dans l’intérieur de la France des agents plus fidèles ni plus dangereux pour nous. Ne sait-on pas que tous les colons sont nobles, très nobles, hauts et puissants seigneurs, liés avec tous nos ennemis, émigrés et autres ; qu’ils ont à Londres […] peut-être deux mille colons comme eux, de plus riches des plus animés contre vous.

Doc. 27 : L’héroïsme révolutionnaire des esclaves

Les esclaves, qui étaient en insurrection depuis deux ans, instruits par les flammes et les cous de canon que le Cap était attaqué […] se présentent en armes devant vos délégués. Nous sommes nègres, français, leur dirent-ils ; nous allons combattre pour la France, mais pour récompense nous demandons la liberté. Ils ajoutèrent même les droits de l’homme […]. Les noirs sentaient leur force ; ils auraient pu même les tourner contre nous si on les avait indisposés.

Nous vous ferions observer que la liberté que vous nous avez accordée nous l’avions déjà !

Doc. 28 : Justification de la citoyenneté des femmes et de la liberté des enfants

Ce n’est pas la faute de nos femmes si elles n’ont pu s’armer pour la France. Peut-on les punir de la faiblesse de leur sexe ? Pourquoi les rendre plus malheureuses que nous ? Elles partagent nos sentiments pendant que nous nous battrons pour la France, elles les inspireront à nos enfants ; elles travailleront pour nourrir les guerriers. […]

Quant à nos enfants, c’est notre propriété, c’est notre sang. On n’a jamais pu disposer de notre postérité ; les garder dans l’esclavage, c’est nous condamner à un malheur éternel, c’est nous arracher la vie.

Doc. 29 : Contrepartie de l’abolition

Que les habitants de nos villes de commerce soient détrompés, que les commerçants se rassurent […], qu’ils lisent la proclamation du 29 août ; qu’ils apprennent que les noirs travailleront à les rembourser et d’autant plus volontiers qu’ils auront un salaire raisonnable à espérer pour leur travail, pour leurs sueurs.

Docs. 25-29 : Archives parlementaires, t. 84, p. 268-292, cité dans Serna 2014.

Doc. 30 : Le décret d’abolition de l’esclavage en France

Les Mortels sont égaux, ce n’est pas la naissance, c’est la seule vertu qui fait la différence.

La Convention nationale déclare que l’esclavage des Nègres dans toutes les colonies est aboli ; en conséquence, elle décrète que tous les Hommes, sans distinction de couleur, domiciliés dans les colonies, sont citoyens français et jouiront de tous les droits assurés par la Convention.

Décret de la Convention du 16 pluviôse an II.

Doc. 31 : Allégorie de la première abolition de l’esclavage

Estampe de 1794, BnF, Paris. Légende : manuel d’histoire Seconde, 2014.

Légende :
1 – Déclaration de 1789, en gras l’article premier.
2 – Texte du décret du 16 pluviôse an II abolissant l’esclavage.
3 – La Raison.
4 – Un Français de métropole partisan de la Révolution en costume de garde national et un Antillais.
5 – Corne d’abondance et palmier symbolisant la prospérité des Antilles.
6 – La Nature qui encourage la Raison car l’égalité est un droit naturel
7 – Démons de l’aristocratie, de l’injustice, de l’égoïsme et de l’insurrection chassés au loin.

4. Les conséquences de l’abolition

Doc. 32 :  Etendre l’abolition pour déstabiliser les autres puissances coloniales

Wir waren auf Jamaika angekommen, drei Emissäre des französischen Konvents, unsre Namen: Debuisson, Galloudec, Sasportas, unser Auftrag: ein Sklavenaufstand gegen die Herrschaft der britischen Krone im Namen der Republik Frankreich. Die das Mutterland der Revolution ist, der Schrecken der Throne, die Hoffnung der Armen. In der alle Menschen gleich sind unter dem Beil der Gerechtigkeit. Die kein Brot hat gegen den Hunger ihrer Vorstädte, aber Hände genug, die Brandfackel der Freiheit Gleichheit Brüderlichkeit in alle Länder zu tragen. Wir standen auf dem Platz am Hafen. In der Mitte des Platzes war ein Käfig aufgestellt. Wir hörten den Wind vom Meer, das harte Rauschen der Palmblätter, das Fegen der Palmwedel, mit denen die Negerinnen den Staub vom Platz kehrten, das Stöhnen des Sklaven im Käfig, die Brandung. Wir sahen die Brüste der Negerinnen, den blutig gestriemten Leib des Sklaven im Käfig, den Gouverneurspalast. Wir sagten: Das ist Jamaika, Schande der Antillen, Sklavenschiff in der Karibischen See.

Doc. 33 : Le discours contre-révolutionnaire

Debuisson – Nehmen wir unsre Masken vor. Ich bin der ich war: Debuisson, Sohn von Sklavenhaltern aus Jamaika, mit Erbrecht auf eine Plantage mit vierhundert Sklaven. Heimgekehrt in den Schoss der Familie, um sein Erbe anzutreten, aus dem verhangenen Himmel Europas, trüb vom Qualm der Brände und Blutdunst der neuen Philosophie, in die reine Luft der Kariben, nachdem die Schrecken der Revolution ihm die Augen geöffnet haben für ewige Wahrheit, dass alles Alte besser als alles Neue ist. […]

Galloudec – Ein Bauer aus der Bretagne, der die Revolution hassen gelernt hat im Blutregen der Guillotine, ich wollte, der Regen wäre reichlicher gefallen, und nicht nur auf Frankreich, treuer Diener des gnädigen Herrn Debuisson, und glaube an die heilige Ordnung der Monarchie und der Kirche. Ich hoffe, ich werde das nicht zu oft beten müssen.

Debuisson – Du bist zweimal aus der Rolle gefallen, Galloudec.

Galloudec – Ein Bauer aus der Bretagne, der die Revolution hassen gelernt hat im Blutregen der Guillotine. Treuer Diener des gnädigen Herrn Debuisson. Ich glaube an die heilige Ordnung der Monarchie und der Kirche. […]

Debuisson – Sasportas. Deine Maske.

Galloudec – Die sollte es nicht schwerfallen, den Sklaven zu spielen, Sasportas, in deiner schwarzen Haut.

Sasportas – Auf der Flucht vor der siegreichen schwarzen Revolution auf Haiti habe ich mich dem Herrn Debuisson angeschlossen, weil Gott mich für die Sklaverei geschaffen hat. Ich bin sein Sklave. Genügt das.

Docs. 32 et 33 : Müller, p.17 et 18-19.

Doc. 34 : Arguments pour la réintroduction de l’esclavage

Fabien et Beauvais sont tous deux des officiers français. Beauvais décide de rester sur l’île et de combattre la réintroduction de l’esclavage.

Fabien fuhr friedlicher fort: […] „Was hätte es auch den Negern benutzt, wenn sie gearbeitet hätten. Vielleicht wäre einem der Kamm angeschwollen, wie es auf Haiti passiert ist. Wenn sich die Leute einmal an Arbeit gewöhnt haben, dann kommt dabei manch ein komischer Ehrgeiz heraus. Auch man ein komischer Kopf, wie dieser Toussaint. […] Der Zucker ist unter Bonaparte genau derselbe, wie er unter Ludwig XVI. war, genau derselbe, Beauvais. Der Unterschied liegt n Frankreich, nicht im Zucker. Er hat unser Vaterland reich gemacht, beneidet und reich. Sehen Sie mal, nur Schwarze können Zuckerrohr schneiden. Darum gehören dieselben Gesetze zu denselben Schwarzen. Der Unterschied ist: Für wen sind es Sklaven? Es ist ein Unterschied, ob der Sklave das Zuckerrohr für Ludwig XVI. schneidet oder für Napoleon.“ – „Glauben Sie, dass es ein Unterschied für die Sklaven ist?“ – „Für die nicht, aber für uns. Mein Gott, das hysterische Gleichberechtigungsgebrüll, als sie sich vor der Nationalversammlung als Brüder umarmten und im ihre schwarzen Bäuche die Trikolore zu binden begannen. War damals nützlich. Der Engländer ist unser Feind. Wir müssen ihn schlagen. Wenn er mit seinen Sklaven mehr Zucker produzieren kann als wir mit unserem Gleichberechtigungsgebrüll, dann heißt das: Fertig mit dem Gefasel. Ihr Neger pariert! Drapiert euch weiter mit einer Trikolore, wenn es euch Spaß macht.“

Wiedereinführung der Sklaverei in Guadeloupe, dans Seghers, 1962, p. 94-95.

Erste Liebe – Die Sklaverei ist ein Naturgesetz, alt wie die Menschheit. Warum soll sie aufhören vor ihr. Sieh dir meine Sklaven an, und deine, unser Eigentum. Ihr Leben lang sind sie Tiere gewesen. Warum sollen sie Menschen sein, weil es in Frankreich auf einem Papier steht. Kaum lesbar vor so viel mehr Blut als für die Sklaverei geflossen ist hier auf deinem und meinem schönen Jamaika. Ich werde dir eine Geschichte erzählen: auf Barbados ist ein Plantagenbesitzer erschlagen worden zwei Monate nach der Aufhebung der Sklaverei. Sie kamen zu ihm, seine Befreiten. Sie gingen auf den Knien wie in der Kirche. Und weißt du was sie wollten. Zurück in die Geborgenheit der Sklaverei.

Müller, 1979, p. 22.

Doc. 35 : Le rétablissement officiel de l’esclavage

Une puissance rivale[1] de la France voyait, avec autant de peine que d’envie, la prospérité de nos colonies. Depuis longtemps, elle méditait leur perte ; ses efforts avaient été impuissants jusqu’au moment où la Révolution française lui fournit les moyens d’exécuter ses sinistres projets[2]. Des hommes adroits et perfides furent envoyés vers la capitale ; l’or fut répandu avec profusion […]. L’Assemblée nationale […] seconda puissamment leurs intentions : son décret, à ce sujet, fut la perte de nos colonies et de ces mêmes Noirs qu’elle croyait favoriser. Vous connaissez, par une fatale expérience, les maux qui ont été le résultat de cette prétendue liberté, indiscrètement accordée à des êtres sans civilisation, sans principes et sans patrie. Ce ne fut pas seulement la licence qui se mit à la place de la liberté, mais la révolte la plus affreuse et la plus sanglante[3]. La religion détruite, les habitations[4] incendiées, des flots de sang français répandus, tel fut le triste état dans lequel nos colonies furent réduites. Ces motifs ont déterminé le gouvernement à prendre [un] arrêt[5] d’après la connaissance acquise que l’humanité a toujours guidé les colons de la Guadeloupe et que chaque propriétaire est un père dont la sollicitude s’étend sur tous ceux qui l’entourent.

Déclaration d’Ernouf, gouverneur de la Guadeloupe, 14 mars 1803.

4 – L’indépendance d’Haïti

Doc. 36 : Les révoltes d’Haïti

Atlas des Amériques, Les Atlas de l’Histoire, n°376, mai 2012, p. 48.Atlas des Amériques, Les Atlas de l’Histoire, n°376, mai 2012, p. 48.

Doc. 37 : Le travail des Noirs après l’esclavage

„Was für ein Unsinn“, sagte ein anderer, der so dünn und so sprunghaft wie eine Spirale war, „damit wir wieder Schiffe von all dem Zeug, Kaffee, Kakao und Zucker, nach Frankreich schicken. Nicht als Sklaven, behaupten sie, wie bekämen dafür bezahlt. Wozu bezahlt? Für eine Uniform vielleicht? Mit Litzen und Knöpfen? Oder Geräte, damit ich noch mehr arbeiten muss?“ […] Manon erstickte vor Wut. Sie schrie: „Auf deinem eigenen Feld will man, dass du dein Lebtag arbeitest.“ […] Ismael sagte: „Ich war mein Lebtag Gärtner. Soll ich auf meine alten Tage Feldsklave werden, weil man mir eine Parzelle zuteilt. Nennt ihr das die Befreiung?“

Wiedereinführung der Sklaverei in Guadeloupe, dans Seghers 1962, p. 75.

Doc. 38 : La réaffirmation des dominations sociales

Debuisson – Ich will das alles nicht mehr wissen. Tausend Jahre ist gelacht worden über unsre drei Geliebten. In allen Gossen haben sie sich gewälzt, alle Rinnsteine der Welt sind sie hinabgeschwommen, geschleift durch alle Bordelle, unsre Hure die Freiheit, unsre Hure die Gleichheit, unsre Hure die Brüderlichkeit. Jetzt will ich sitzen wo gelacht wird, frei zu allem was mit schmeckt, gleich mit mir, mein und sonst niemandes Bruder. Dein Fell bleibt schwarz, Sasportas. Du, Galloudec, bleibst ein Bauer. Über euch wird gelacht. Mein Platz ist wo über euch gelacht wird. Ich lache über euch. Ich lache über den Neger; ich lache über den Bauern. Ich lache über den Neger, der sich weiß waschen will mit der Freiheit. Ich lache über den Stumpfsinn der Brüderlichkeit, der mich, Debuisson, Herrn über vierhundert Sklaven, ich brauche nur Ja zu sagen, Ja und Ja zur geheiligten Ordnung der Sklaverei, blind gemacht hat für dein, Sasportas, dreckige Sklavenfell, für deinen vierbeinigen Bauerntrott, Galloudec, das Joch im Necken, mit dem die Ochsen in der Furche gehen auf deinem Acker, der dir nicht gehört. Ich will mein Stück vom Kuchen der Welt. Ich werde mit mein Stück herabschneiden aus dem Hunger der Welt. Ihr, ihr habt kein Messer.

Müller, 1979, p. 39.

Conclusion : la mémoire de l’événement

Doc. 39 : Une place dans l’histoire officielle ?

Debuisson – Unsre Namen werden nicht in den Schulbüchern stehn, und dein Befreier von Haiti, wo jetzt die befreiten Neger auf die befreiten Mulatten einschlagen oder umgekehrt, wird lange warten müssen auf seinen Platz im Buch der Geschichte. Inzwischen wird Napoleon Frankreich in eine Kaserne verwandeln und Europa vielleicht in ein Schlachtfeld, der Handel blüht in jedem Fall, und der Frieden mit England wird nicht ausbleiben, was die Menschheit eint sind die Geschäfte. Die Revolution hat keine Heimat mehr, das ist nicht neu unter dieser Sonne, die eine Erde vielleicht nie bescheinen wird, die Sklaverei hat viele Gesichter, ihr letztes haben wir noch nicht gesehn […]

Müller, 1979, p. 36-37.

Doc. 40 : Portrait de Sanité Belair

Billet de 10 gourdes, Haiti, 2004.

[1] Le Royaume-Uni.

[2] Le Royaume-Uni est ici accusé d’avoir soutenu les abolitionnistes pour ruiner l’exploitation sucrière.

[3] Violences commises sur les partisans de l’esclavage par les Noirs, à partir de 1793.

[4] Plantations de canne à sucre.

[5] Arrêté consulaire du 16 juillet 1802, rétablissant l’esclavage en Guadeloupe, proclamé officiellement dans l’pile mai 1803.

La Révolution française aux Antilles : pistes pour l’enseignement en contexte franco-allemand.

Morwenna Coquelin

Les documents sont mis en ligne à part : https://revue-abibac.fr/2021/12/05/revolution-francaise-aux-antilles-documents/

Les conséquences de la Révolution française dans les colonies et la révolution de Saint-Domingue en particulier constituent un angle mort de la mémoire et de l’histoire scolaire de la Révolution française, dont le grand récit reste centré sur les événements en métropole et même sur les événements parisiens, prise de la Bastille en tête[1]. Le seul exemple que j’ai repéré dans les manuels 2019 est une page du manuel de Première Hatier, portant sur les commémorations de l’abolition de l’esclavage en France, qui signale certes la lenteur des délais entre la décision du 27 avril 1848 à Paris et sa connaissance dans les colonies, et les dates de commémorations différentes qui s’ensuivent, mais ne fait aucune référence à Haïti ou à la première abolition de 1794. Ce silence fait d’ailleurs écho au silence remarqué d’E. Macron lors de la dernière cérémonie du 10 Mai, date de commémoration de l’esclavage[2].

Pourtant, l’idée de « révolutions atlantiques » n’est pas récente[3], et l’on gagne beaucoup à élargir l’enseignement de la Révolution à ces événements des Antilles. Outre l’approfondissement et l’enrichissement, la densification, de l’enseignement de la Révolution, cela permet aussi de poursuivre ou d’introduire des thèmes étudiés dans les chapitres portant sur l’expansion européenne au XVIe s., les Lumières, la colonisation puis la décolonisation ; on peut aussi ancrer historiquement des situations observées en géographie ; c’est un moyen d’introduire la question de l’histoire connectée ; cela fait enfin écho à des débats qui traversent la société actuelle. Les élèves sont souvent très sensibles à ces questions, et par ailleurs il est important de pouvoir leur proposer une explication non partisane de termes fréquemment utilisés dans les médias sans explication ni mise en contexte, comme « décolonial/post-colonial », « intersectionnalité » ou « anthropocène/plantacionocène », ou encore « race » entendu comme construit social, ce qui fonctionne souvent mieux et avec moins d’affect que lors d’un cours qui serait spécifiquement tourné sur ces débats. L’histoire de Saint-Domingue est d’ailleurs exemplaire pour montrer la construction et l’invention de catégories raciales essentialisantes bien éloignées de la réalité sociale complexe dans laquelle on peut au contraire articuler les catégories de race, de classe, de nation, et retrouver les mécanismes de leur construction par les acteurs.

Les répercussions de la Révolution française aux Caraïbes et la révolution haïtienne plus particulièrement sont ainsi l’occasion de faire converger un discours scientifique et une attente sociale qui peut être exprimée par les élèves ; c’est aussi l’occasion de montrer que les dominés ne sont pas pour autant passifs. 1791 et 1794 sont deux moments-clés qui permettent de bien montrer que l’abolition de l’esclavage est le fruit de l’action des dominés autant que des abolitionnistes. Rendre aux premiers leur agentivité vise aussi à sortir d’une approche victimaire. Ces moments ne sont pas stricto sensu dans les programmes d’histoire français mais peuvent être abordés en lien avec un cours sur les Lumières, en Seconde, autour par exemple de la Société des Amis des Noirs, ou sous forme d’Exkurs en Première en complément du cours sur la Révolution française. Ils s’insèrent également dans le programme d’EMC, portant sur la liberté en Seconde et sur le lien social en Première. Cela permet aussi de questionner l’universalisme affiché sous les Lumières ou la Révolution.

L’article propose une présentation des événements et de leurs enjeux, associée à des documents regroupés en annexe, qui peuvent servir à en cours en contexte tant francophone que germanophone[4]. Ces documents sont littéraires et artistiques autant qu’historiques, de sorte que le thème peut être aussi travaillé en cours d’allemand ou de façon croisée. En contexte francophone, les textes sont évidemment nombreux et variés, ce qui permet aussi de s’ajuster au niveau des élèves. Outre les documents historiques, je propose ici un roman de Marie Vieux-Chauvet, en faisant le choix de renvoyer, pour les textes francophones, de préférence à une autrice haïtienne, afin aussi de véritablement sortir d’un regard européano-centré et surplombant. Rendre leur agentivité aux populations dominées passe aussi, me semble-t-il, par le choix de textes produits par ses populations ou leurs descendants.

En allemand, les textes historiques accessibles sont moins nombreux. Il existe un témoignage rédigé dans les années révolutionnaires et montrant le point de vue d’un Allemand résidant à Paris, et ce qu’il reçoit et comprend (pas grand-chose) des événements de Saint-Domingue et des débats sur l’abolition de l’esclavage, mais malheureusement le texte ne se trouve qu’à la BnF qui ne le communique pas en ce moment (von Archenholtz, 1792-1812). On peut recourir aux documents iconographiques et aux cartes, qui ont aussi l’avantage d’être plus facilement accessibles à des élèves un peu fragiles en langue ; surtout, on peut compenser par des textes littéraires qui permettent aussi d’aborder la question en cours de langue et littérature.

On peut citer Die Verlobung in St. Domingo de Kleist, qui prend la révolution des esclaves haïtiens de 1804 comme modèle du combat contre Napoléon[5]. La nouvelle date de 1811, l’année d’une défaite militaire de Napoléon à St-Domingue. La trilogie haïtienne de Hans Christoph Buch, en particulier les deux premiers, peut probablement aussi fournir des passages intéressants à étudier – je n’ai pas pu le consulter[6]. Pour des raisons d’accès aux documents, mais pas seulement, j’utiliserai dans la suite d’autres œuvres. J’ai choisi en effet des extraits d’œuvres produites en RDA, considérant que cette littérature était peut-être moins fréquemment proposée aux élèves[7], et surtout que la perspective des auteurs, en l’occurrence deux communistes, résonnait particulièrement avec le thème de la révolution des esclaves, compris comme émancipation et construction de la liberté et de soi comme acteur politique.

J’ai sélectionné des extraits de plusieurs nouvelles ou courts romans qu’Anna Seghers (1900-1983) a consacré à Haïti et aux Antilles pendant la période révolutionnaire. Seghers a découvert l’histoire de cette île lors de son exil américain pendant la Seconde Guerre mondiale, et entretint toute sa vie des relations avec les auteurs haïtiens ou plus généralement caribéens, en particulier Aimé Césaire. Elle écrivit en 1948 et 1949 Die Hochzeit von Haiti puis Wiedereinführung der Sklaverei in Guadeloupe, complétées en 1960 Das Licht auf dem Galgen[8] pour former le recueil Karibische Gechichten. Dans ce recueil, elle s’intéresse à différents moments de la lutte pour l’abolition : la révolution de Saint-Domingue de 1791 et ses prémices, la situation en Guadeloupe après l’abolition de 1794 et enfin une tentative avortée d’organiser un soulèvement similaire en Jamaïque. Elle explore aussi l’engagement politique et idéologique, la trahison des compagnons de lutte et des idéaux, les petites médiocrités des révolutionnaires, ainsi que le rôle des Noirs dans la lutte. Dans Die Hochzeit…, un homme choisit de rester sur l’île et d’aider les Noirs tant par conviction politique forgée dans les clubs parisiens que par amour pour une jeune esclave. Die Wiedereinfûhrung… montre les tensions post-abolitions dans une société toujours coloniales, ainsi que les divisions entre les Noirs et leurs déceptions. Das Licht… met en scène trois agents de la République chargé de déclencher en Jamaïque une révolution à l’image de celle de Saint-Domingue. Si Dubuisson[9], fils de planteurs anglo-français, se détourne des projets révolutionnaires dès qu’il apprend le coup d’Etat du 18 Brumaire, ses acolytes Galloudec et Sasportas entendent combattre pour la liberté et honorer leurs engagements, ce qui leur vaut la mort.

Sa dernière œuvre est également consacrée à Haïti : dans ce cycle de trois très brèves nouvelles, elle met en scène des femmes mythiques ou ordinaires prises dans les luttes pour l’indépendance et la liberté. Der Schlüssel, la deuxième nouvelle, se déroule pendant la Révolution ; les deux autres lors de la conquête européenne et sous la dictature Duvalier. Dans Der Schlüssel, le personnage féminin fait contrepoint aux révolutionnaires masculins, compagnons d’infortune, et à Toussaint, qui n’apparaît jamais que de très loin depuis sa cellule.

A partir de l’argument de Das Licht auf dem Galgen, Heiner Müller (1929-1995) écrivit en 1979 sa pièce Der Auftrag, en reprenant l’essentiel de la nouvelle, resserrant l’argument autour de la division entre les trois hommes[10] et de la trahison de Dubuisson. Au cœur de la pièce se trouve un intermède mettant en scène un homme seul dans un ascenseur dont le long monologue rend compte d’une autre forme d’oppression, celle de l’entreprise et de la hiérarchie du travail. La pièce a été mise en musique par Heiner Goebbels en 1987 (Der Mann im Fahrstuhl), version qu’on trouve en ligne.

1 – Saint-Domingue avant la Révolution

Les possessions françaises dans la Caraïbes forment depuis 1763 et la perte du Canada l’essentiel de l’Empire colonial français. Elles ont été conservées de préférence aux colonies septentrionales car elles étaient plus faciles à contrôler et surtout car on y produit l’« or blanc », le sucre, ainsi que le café ou le tabac[11]. L’Etat a mis en place le monopole qui régit strictement les relations de commerce entre colonies et métropoles, pour contrôler ces richesses stratégiques : le système de l’Exclusif. Les colonies ne peuvent vendre qu’à la métropole, ne peuvent transformer les productions en produits manufacturés, seule la métropole peut approvisionner les colonies et les navires français sont seuls à pouvoir transporter les objets entre colonies et métropoles et entre les colonies. Bien sûr, la contrebande est active, notamment dans un contexte de concurrence internationale.

  1. L’économie de plantation

Le système d’exploitation coloniale est fondé sur un système d’habitation-plantation ou habitation-sucrerie qui est autant un mode de répartition du foncier – entre les familles de planteurs – qu’un système d’exploitation de la terre fondé sur le travail des esclaves attachés à la plantation – ou plus exactement propriétés des planteurs.

Dans cette économie, le rôle des esclaves est primordial : sans leur travail gratuit, les productions coloniales seraient trop chères et ne rapporteraient pas tant aux colons comme à l’Etat. La traite (doc. 3) assure la fortune des grands ports négriers – Bordeaux, Le Havre ou Nantes en tête. L’économie de plantation est fondée sur l’exploitation du travail humain des esclaves pour la production de ressources agricoles à haute valeur ajoutée (sucre et café en tête – doc. 4). Le groupe esclave le plus important est ainsi constitué des esclaves travaillant aux champs sous l’autorité d’un contremaître blanc. Les conditions de travail sont terribles, les punitions violentes. Le travail n’est pas seulement celui de la culture et de la récolte, mais aussi celui de la transformation en produit exportable, fini ou semi-fini (doc. 5).

Il existe également un autre groupe d’esclave, plus favorisé, celui des esclaves domestiques. Les conditions de travail sont plus douces, sans que les punitions soient moins sévères pour autant. Ces esclaves pouvaient bénéficier d’une relative proximité avec les maîtres, voire avoir accès à une relative éducation que les clercs pouvaient être autorisés par les planteurs à leur dispenser. C’est ainsi que Toussaint Louverture, par exemple, apprit la lecture et l’écriture alors qu’il était un esclave cocher. On voit donc qu’il existait une hiérarchie interne au groupe des esclaves, en fonction de la proximité avec l’habitation et aussi en fonction de la maîtrise d’un art particulier (couture, ferronnerie…).

Les ressources produites sont ensuite exportées vers la métropole où elles sont des produits de demi-luxe auxquels la population accède plus largement au cours du xviiie s. et qu’elle s’habitue à consommer. Ainsi assiste-t-on, en janvier-février 1792, à des révoltes à Dunkerque ou Paris en réaction à l’augmentation du prix du sucre. Dans cette économie, la colonie française de Saint-Domingue constitue la « perle des Antilles » et le joyau de l’Empire colonial français par sa production énorme de café et de sucre : c’est le premier producteur mondial et le territoire qui assure l’essentiel du commerce colonial de la France.

La Révolution française n’interrompt pas, dans un premier temps, la production et la traite qui la permet. Au contraire, on remarque un pic dans la traite entre 1789 et 1791, ce qui explique aussi la révolution des esclaves et leur poids numérique.

2. Composition de la société

Les esclaves sont largement majoritaires dans la société coloniale des Antilles, jusqu’à plus de 10 fois plus nombreux que les colons blancs à Saint-Domingue (doc. 6, 7). Ces esclaves peuvent être des créoles nés sur place ou avoir été transportés plus récemment – on englobe à l’époque ces personnes africaines sous le terme de « Congos », quel que soit le territoire de capture. Cela reflète bien que la majorité des esclaves est d’origine africaine, et vient en fait tout juste de débarquer. On doit aussi mentionner les esclaves marrons – évadés et se cachant, subissant de très lourds châtiments corporels en cas de capture. Le terme « esclaves » renvoie donc à une même réalité juridique mais à une grande diversité de fonctions, de conditions de vie, de langues, d’origine. La nouvelle Der Schlüssel, dans Drei Frauen aus Haiti[12], comporte des extraits facilement exploitables en cours, notamment sur les rapports de domination et de violence entre familles de planteurs et esclaves. Elle met en scène une esclave domestique, ce qui permet aussi de montrer que les esclaves ne travaillaient pas seulement dans les champs de cannes à sucre, et n’étaient pas forcément mieux traités pour autant, même si le labeur quotidien était bien moins éprouvant.

Enfin, il faut mentionner les « libres de couleur », à savoir les affranchis et les descendants d’affranchis, qui pour autant ne pouvaient prétendre à un rang social identique à ce celui des Blancs, quand bien même ils étaient mulâtres (métis). Il suffisait même d’une seule grand-mère esclave pour être libre de couleur et non sujet libre. La classification raciale était raffinée et tenait compte de la moindre goutte de sang noir pour discriminer.

En outre, le groupe des Blancs n’est pas monolithique : à côté des grands planteurs vivote tout un peuple de petits Blancs qui dépend des premiers – ses clients et patrons – qu’il ne peut donc trop ouvertement critiquer (doc. 8). La domination raciale permet également à ces colons pauvres de réaffirmer un statut supérieur malgré la domination économique qu’ils subissent. Tout en bas de l’échelle sociale blanche, on trouve les Juifs (doc. 9).

Le seul prisme racial ne peut donc suffire à expliquer la société coloniale et la révolution haïtienne, qui est bien loin d’une composition binaire Blancs dominants / Noirs esclaves et exploités. Les libres de couleur pouvaient posséder des esclaves et le faisaient ; Toussaint Louverture en posséda jusqu’à 13.

3. Créolisation

La société coloniale n’est donc pas la société de métropole : si les colons reçoivent la mode de Paris et la suivent, avec un certain retard dû à la lenteur de la communication, si le mobilier, les arts de la table, sont européens, l’alimentation et la culture d’agrément sont marquées par la flore locale, le rythme de vie est accordé au climat et les tissus tels que le madras peuvent aussi être utilisés. Les gravures montrent la variété des carnations et la juxtaposition de vêtements européens sur des accessoires et un décor caribéens (docs. 10, 11).

Le terme de société créole rend compte de ces diversités d’origine et de la forme originale qui en sort, du moins là où l’on observe un mélange des traditions, des langues et des religions, à savoir parmi les esclaves et les libres de couleur. La créolisation désigne en effet pour les anthropologues ou les linguistes le processus de création spontanée d’une culture ou d’une langue, à la suite de la fusion de langues variées coexistant sur un territoire. On peut utiliser pour ce versant culturel la figure de Minette, qui permet aussi d’introduire la question de la place et du rôle des femmes dans cette société, au-delà des figures plus attendues de nourrice et de prostituée. Minette, née en 1767 dans une famille libre depuis deux générations, apprit le théâtre auprès d’une actrice blanche à Port-au-Prince avant de monter sur scène pour la première fois en 1780 et de connaître un énorme succès dans la colonie. Sa sœur, Lise, était aussi comédienne.

La vie culturelle est en effet marquée par ses échanges entre des traditions variées, ce qui n’empêchait pas la ségrégation des spectateurs en fonction de leur couleur de peau. On peut citer par exemple Jeannot et Thérèse, une adaptation en créole de l’opéra de Rousseau Le devin du village, transposé dans une plantation peuplée de personnes d’ascendance africaine, tant libres qu’esclaves, et le devin devient un guérisseur né en Afrique. Les premières représentations, en 1758, étaient jouées par des acteurs blancs grimés en noir. On perd sa trace après 1789, pour la retrouver à la Nouvelle-Orléans en 1806, où une représentation caritative est organisée pour elle, peu de temps avant sa mort début 1807. Marie Vieux-Chauvet lui a consacré un roman, La danse sur le volcan, que je n’ai malheureusement pas pu consulter mais qui propose plusieurs scènes utiles pour travailler sur la société haïtienne, soit pour évoquer la révolution (Dubois, 2017).

Une autre façon de faire un travail sur la langue et de façon générale sur les transferts culturels entre métropole et colonie est l’étude de documents musicaux. Il existe en effet des productions musicales haïtiennes inspirées de textes des Lumières. On peut d’ailleurs noter que Minette refusa de chanter ces productions, jouées en général par des acteurs blancs maquillés de noir – blackfaces –, peut-être parce qu’elle voulait marquer, en jouant des pièces d’auteurs européens, une certaine ascension sociale, ou bien parce qu’elle signalait ainsi son opposition à la vision du bon Noir véhiculée par ces auteurs locaux (Dubois, 2017). Lors de la soirée organisée à son bénéfice, elle choisit encore une œuvre européenne, située en Provence, et non une œuvre créole.

Avec des élèves dont la maîtrise du français est très solide, on peut aussi montrer des textes en créoles et fait observer les mécanismes de déformations, plus perceptibles encore à l’écoute. Michel Etienne Descourtilz, médecin connu pour son activité de botaniste et d’historiographe de la révolution haïtienne, composa à la fin de son séjour à Saint-Domingue un opéra, Le dialogue créole, qui contient le premier chant d’amour en créole, un bref duo dont le texte relate les retrouvailles entre deux fiancés et fait l’éloge des qualités morales des Ibos (doc. 12). Outre le travail possible sur la langue, on peut s’appuyer sur la traduction en français pour faire réfléchir les élèves à la caractérisation simpliste des personnes noires, y compris par des gens qui défendaient l’abolition. En effet, Descourtilz a pu utiliser cette musique, donnée dans des salons, pour répandre les idées abolitionnistes. Ce duo montre les circulations culturelles, la vision positive portée ici sur la culture créole par un auteur qui l’intègre à une musique classique « savante », mais aussi les ambiguïtés de cette reconnaissance qui s’accompagne d’une essentialisation des personnages ibos, forcément fidèles, sobres et pétris d’honneur. C’est la même essentialisation que l’on trouve dans le portrait que le député Dufay livre des Noirs devant la Convention en 1794 (cf. infra – doc. 13). Mais dans ce cas, il ne s’agit pas seulement d’un portrait du bon sauvage. Cette essentialisation positive répond à l’essentialisation négative que font les planteurs, lorsqu’ils représentent les noirs comme des bêtes sauvages ayant le goût du sang. Ce portrait positif vise aussi à intégrer les Noirs dans la communauté des citoyens de la République, doté de raisons et de qualités morales.

2 – Antilles et Révolution(s)

  1. Les limites des Lumières et des premiers temps de la Révolution

Une partie des philosophes des Lumières a combattu contre l’esclavage, avec des arguments de différentes natures. Les physiocrates ont des arguments pragmatiques découlant aussi de leur critique du monopole. Les esclaves coûtent cher – à l’achat, en entretien – mais ne consomment rien et n’ont donc aucune incitation positive au travail. Montesquieu, ou l’abbé Raynal dans son Histoire des deux Indes, mobilisent, eux, des arguments moraux. Dans son livre qui connut un grand succès en Europe, l’abbé use d’une stratégie oratoire pour jouer, aussi, sur la crainte d’un soulèvement populaire si l’esclavage n’était pas aboli (doc. 13). L’argument moral est alors couplé à un argument pragmatique, mais d’une autre nature que celui des physiocrates.

La Société des Amis des Noirs, fondée en 1788 et à laquelle appartiennent les futures grandes figures de la Révolution que sont Brissot, Mirabeau, Lafayette ou l’abbé Grégoire, envisage plutôt une abolition graduelle. Les membres de cette Société considèrent en effet qu’il convient de laisser un temps d’adaptation et de transition de l’économie, et de préparer les esclaves. On voit bien que ces derniers sont vus comme de grands enfants qu’il faut guider et accompagner, qu’il faut libérer, non comme des acteurs de leur libération. L’effervescence révolutionnaire est aussi celle des clubs politique ou de l’émergence d’une presse dynamique ; la question de la situation des Noirs n’échappe pas à cette frénésie de débats et de discussion (doc. 14). Les révolutionnaires sont loin d’être unanimes sur le sort des Noirs et la question de l’esclavage : on retrouve dans les différents camps les divisions qui existaient déjà entre les philosophes des Lumières, et l’on peut être révolutionnaire et planteurs. Ces derniers en effet, souhaitent l’abolition du système de l’Exclusif qui les empêche de commercer comme ils l’entendent. Pour autant, ils sont bien évidemment opposés à l’abolition, qui desserviraient leurs intérêts économiques.

L’émancipation apportée par le premier moment révolutionnaire est donc en réalité très limitée (doc. 15) : elle concerne les hommes blancs de métropole avant tout, ce qui ne contrarie d’ailleurs pas l’ensemble de la population noire. Les libres de couleurs en effet apprécient la distinction et la supériorité qu’ils conservent ainsi par rapport aux autres habitants noirs des colonies (doc. 16). L’abolition achoppe surtout sur la question économique, particulièrement dans le contexte hautement concurrentiel des Antilles, où Anglais et Espagnols se tiennent prêts à profiter de la moindre faiblesse des plantations françaises pour établir leur domination.

2. Information et débats

*A Paris :

La presse française connait une période d’effervescence sans précédent dès les débuts de la Révolution, qui est aussi une libération de l’expression et l’apprentissage d’une participation politique (doc. 17). En contexte germanophone, les documents-sources écrits sont plus rares et plus difficiles d’accès, mais permettent aussi d’interroger la diffusion des idéaux révolutionnaires ou leur réception. Il existe néanmoins un texte assez exceptionnel, la Minerva, journal mensuel édité par Johann Wilhelm von Archenholtz (1741 ? – 1812). Cet officier prussien avait déjà résidé à Paris dans les années 1760 et son enthousiasme pour la Révolution le conduisit à y retourner en 1791. Les événements de 1793 lui firent prendre néanmoins plus de distance. Il rédigeait environ le quart du journal et employait pour le reste des littérateurs et militaires ; l’ambition était de proposer « die neueste Geschichte aller Länder soweit sie für das aufgeklärte Volk von Interesse ist ». Le journal rapporte notamment des débats autour de l’abolition et de l’action des représentants des planteurs auprès de l’Assemblée. Malheureusement, il ne m’a pas été possible de le consulter pour cet article.

Les représentants des planteurs à Paris se réunissent, eux, au sein du Club Massiac, véritable lobby colonial, qui leur permet d’obtenir une victoire parlementaire en mars 1790 : 15% des députés ont des propriétés aux colonies. Un comité colonial est créé. On voit bien que les députés étaient autant soucieux de protéger leurs intérêts que de défendre les idéaux de la Révolution.

*Aux Antilles :

L’écho des événements en métropole parvient bien sûr avec retard dans les colonies : il faut plusieurs semaines aux bateaux pour faire la navette entre les Antilles et Paris, où les planteurs disposent de représentants et relais, de même que les libres de couleurs qui ont fondé dès 1789 une société des citoyens libre de couleurs pour obtenir l’égalité politique, qui adresse en vain une lettre aux députés sur la situation à Saint-Domingue (doc. 16).

Les maîtres discutent devant les esclaves, considérant ces derniers comme quantité négligeable incapable d’entendement (doc. 18). Pourtant, ceux qui ont reçu une instruction sont capables de lire et diffuser les écrits des partisans de l’abolition de l’esclavage, ou d’envoyer des lettres aux autorités coloniales (doc. 19). Les planteurs restent inconscients de ces discussions et des réunions entre les représentants des esclaves, moments de tractations et de coordination qui aboutirent à la formalisation d’un plan, le 14 août 1791, sur la plantation Lenormand de Mezy, et à la révolution la semaine suivante, avec un mot d’ordre directement inspiré de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « tout moun se moun », chaque personne est une personne.

3. Les révolutions et révoltes à Saint-Domingue

Le climat social et politique était explosif aux Antilles dès avant la Révolution, où rivalités avec les autres puissances coloniales, puissance des planteurs et afflux massif de nouveaux esclaves formaient une combinaison dangereuse. Les premiers événements de la Révolution française à peine connus dans la Caraïbe, les planteurs blancs se rebellèrent, demandant le durcissement du Code noir jugé trop favorable aux esclaves, et revendiquant leur autonomie politique ainsi que la fin du système de l’Exclusif commercial. Ils menaçaient de suivre l’exemple des colonies américaines tout juste indépendantes, et l’intendant du roi fut chassé. Ces planteurs ne défendaient évidemment pas l’abolition, qui aurait sapé leur pouvoir économique. Il s’agit ici des planteurs blancs : les planteurs libres de couleur, mené par Vincent Ogé, réclamèrent de leur côté l’obtention de la citoyenneté active et prirent les armes en octobre 1790. Ils subirent une lourde défaite, et finirent sur la roue, après avoir été livrés par les autorités espagnoles de Santo-Domingo où ils s’étaient réfugiés. La partie française d’Haïti était alors en proie à une guerre civile entre groupes de planteurs, à la tête de leurs esclaves utilisés comme soldats, et qui finirent par se rebeller.

Leurs revendications étaient variées : réaction contre l’écrasement féroce de la révolution des libres de couleur, reconnaissance de droits humains élémentaires et notamment la fin du châtiment du fouet, mais aussi soutien au roi Louis XVI de plus en plus menacé. Cet engagement royaliste se comprend aisément : les planteurs blancs se présentaient, eux, comme patriotes révolutionnaires, et l’Assemblée nationale ne s’était aucunement préoccupé du sort des esclaves. Ce soulèvement montre bien aussi l’agentivité des esclaves, qui refusèrent de se laisser plus avant instrumentaliser par les élites coloniales.

Le plan fut finalisé en secret par une rencontre des chefs noirs le 14 août, et débuta par une cérémonie à Bois-Caïman le 21 août 1791, véritable hybridation politique entre Révolution française – par un engagement politique clairement situé dans son contexte – et culture africano-créole des Caraïbes – par le sacrifice vaudou d’un porc, sous la conduite du prêtre Dutty Boulkman et de la prêtresse Cécile Fatiman. Ce sacrifice avait un but magique, car en buvant le sang du porc les participants devaient devenir invisibles ; il servait aussi à sceller le lien entre les révoltés. Cécile Fatiman, fille d’une esclave et d’un Corse, fut la belle-sœur du roi Henri Ier (1811-1820) et la femme du général haïtien Jean-Louis Pierrot, président d’Haïti en 1845-1846 (doc. 20 et 21).

La révolution de Saint-Domingue fut d’emblée très violente, notamment car l’un des buts était l’extermination des Blancs. Il convient cependant de nuancer la radicalité de l’affrontement racial : des prêtres blancs combattirent aux côtés des esclaves ; ces derniers étaient caractérisés par une grande hétérogénéité des langues, des origines, de l’ancienneté aux colonies ou des fonctions sur les plantations et les alliances se faisaient avant tout à des échelles très fines, de la paroisse ou de la province. Les premiers succès entrainèrent la radicalisation des actions comme des revendications, les esclaves demandant alors l’abolition. La situation fut connue en octobre 1791 à Paris, où elle fut comprise en termes simplistes suivant le schéma de pensée coloniale et raciste : des sauvages déchainés massacraient des Blancs.

En outre, ces enjeux coloniaux rejouèrent, ou furent exploités, dans des tensions révolutionnaires métropolitaines. Les Feuillants, parti modéré dont plusieurs membres avaient été exclus des Jacobins pour avoir refusé les concessions aux libres de couleurs, se rangèrent ainsi derrière l’un des grands planteurs blancs et alimentèrent la rumeur de bestialité féroce des esclaves. La férocité était pourtant des deux côtés : les révoltés pris étaient décapités et leurs têtes exposées au Cap-Français. Inversement, les Amis des Noirs avaient du mal à soutenir des esclaves violents et surtout royalistes. Là encore, on note que l’image des esclaves est largement tributaire d’un schéma colonial : les esclaves naïfs auraient été dupés par des contre-révolutionnaires. Dans les deux cas, l’agentivité des esclaves leur est dénié. En outre, les Amis des Noirs privilégiaient une abolition graduelle pour ménager les intérêts des planteurs blancs et soutenaient donc une répression brutale de la révolution. Fin 1791, les esclaves n’avaient pas pu prendre Le Cap, mais ils occupaient la plaine du Nord, derrière leurs chefs Jean-François et Biassou. L’intransigeance des colons comme la radicalisation des esclaves empêcha la signature d’une trêve.

3 – Les étapes de l’abolition

  1. La première abolition

A l’Assemblée nationale, les abolitionnistes sont certes majoritaires, mais ils s’opposent à la révolte. Le 4 avril 1792, ils accordent aux libres de couleurs l’égalité avec les Blancs afin d’assurer l’égalité entre les planteurs et de protéger l’économie coloniale. Encore une fois, les intérêts des différentes populations noires ne sont en rien convergents. Cette réponse doit aussi se comprendre dans le contexte des rivalités européennes : les planteurs migrent vers la Grande-Bretagne ou ses colonies, les insurgés vers les possessions espagnoles, donc rejoignent deux territoires ennemis de la jeune République française.

Dans les derniers mois de la monarchie, un premier décret[13] réglant le sort des noirs fait des libres de couleur des citoyens, sans abolir l’esclavage. Trois commissaires civils, Etienne Polverel, Léger-Félicité Sonthonax et Jean-Antoine Ailhaud sont envoyés en juin 1792 à Saint-Domingue pour annoncer la loi et pour rétablir l’ordre sur l’île avec 6 000 soldats (doc. 22). Face à la situation qu’ils découvrent en septembre, les deux premiers estiment qu’il faut accorder l’abolition de l’esclavage, malgré l’opposition du troisième qui considère que cela dépasse leur mandat et leurs compétences, et malgré l’opposition des libres de couleur. Cette opposition est fondée sur la distinction que le procure l’esclavage : distinction économique, car ces planteurs tirent avantage du travail gratuit des esclaves, et distinction juridique et symbolique entre noirs esclaves et mulâtres libres (doc. 23).

Les premières mesures de septembre 1792 (participation des libres de couleur à l’administration, dissolution de l’assemblée coloniale autonomiste…) provoquent la colère des colons blancs : la révolution noire se double d’une révolte blanche. Dès décembre 1792 des émeutes éclatent à Port-au-Prince, reprise en avril, puis au Cap. Cette dernière révolte est matée en juin 1793. L’aide décisive des noirs, intégrés dans l’armée des commissaires, leur vaut affranchissement le 21 juin 1793. Sonthonax, suivant ses convictions et espérant aussi rallier les noirs à la République, décrète le 29 août la double abolition de l’esclavage et du Code noir (doc. 24). Ces décisions, qui vont dans le sens républicain, valent pourtant à Sonthonax et Polverel d’être décrétés hors la loi pour girondisme en juillet.

On trouve un écho des désaccords entre les commissaires dans Das Licht auf dem Galgen, pour une mission d’un autre ordre : après le renversement du directoire le coup d’Etat du 18 Brumaire, faut-il encore suivre les ordres donnés par la République ? Faut-il tout suspendre et attendre les ordres du nouvel Etat ? Si Sasportas est fidèle à la mission initiale et à ses idéaux, Dubuisson se montre plus soucieux de son intérêt et plus calculateur. La question des idéaux et de l’engagement, jusqu’à la mort, se trouve aussi dans Die Hochzeit von Haïti ou dans Dr Schlüssel notamment par l’évocation de Toussaint Louverture.

Sur l’île, la situation n’est pas pacifiée pour autant. D’une part, les anciens esclaves sont mécontents de leur sort. Ils sont forcés de travailler sur les plantations, devenues biens nationaux, ce qui provoque des réactions parfois violentes parmi la population noire. Il faut en effet souligner que l’abolition de l’esclavage n’équivaut pas à une émancipation des Noirs ou à une amélioration de leur condition, et que le régime de travail forcé qui suit rappelle dans les faits grandement l’esclavage. Il se fait au profit d’une aristocratie foncière de couleur qui profite de la hausse du prix du sucre, conséquence de l’abolition et de l’indépendance, qui rend encore plus rentable le système de l’habitation-sucrerie esclavagiste : l’abolition de l’esclavage augmente, paradoxalement, l’intérêt des propriétaires à contraindre les ouvriers agricoles à un travail forcé et leur capacité à le faire.

D’autre part, les Français ne contrôlent en juin 1794, au départ des commissaires, que le Cap et Port-de-la-Paix, et une bande côtière au Sud. Le reste est aux mains des Anglais et des Espagnols.

2. Les députés des Antilles

A Paris, les députés trop liés aux grands propriétaires ont entre-temps été chassés de la Convention, mais également un ardent combattant de l’esclavagisme, Brissot, guillotiné le 31 octobre 1793. Cela nuit aux abolitionnistes qui risquent toujours d’être associés à Brissot – et donc à la guillotine : la Terreur lie aussi les langues.

Une première délégation de Noirs, le 4 juin 1793, reste sans effet malgré le soutien de l’Abbé Grégoire et des Jacobins. En février 1794, Sonthonax envoie une nouvelle délégation, « tricolore » (un Noir, J.-B. Bellay, un mulâtre, Jean-Baptiste Mills, et un Blanc, Louis-Pierre Dufay) pour exposer la situation de l’île et dénoncer le parti colonial, contre-révolutionnaire et traîtres.

Jean-Baptiste Belley, né en 1746 à Gorée, fut déporté comme esclave vers Saint-Domingue. Il fit ensuite partie d’un contingent militaire domingois de couleur envoyé par la France pour soutenir la guerre d’indépendant américaine, où son attitude au combat lui conféra sa liberté et son nom, du latin bellum. Il fut élu député, ainsi que Jean-Baptiste Mills (1749-1806), lors de l’élection de députés organisée dans l’île après l’abolition d’août 1793. Ils arrivèrent en février 1794 à la Convention.

Le portrait peint par Anne-Louis Girodet se trouve souvent dans les manuels, car il est d’une interprétation assez facile : le député, noir, en habit métropolitain typique des bourgeois révolutionnaires, s’appuie sur le buste de l’abbé Raynal, figure de la Société des Amis des Noirs. Le tableau fut peint pour le Salon de 1797 et qualifié par un critique d’« un des tableaux les plus savamment peints », réunissant les « motifs sublimes » de l’abbé Raynal et de la « liberté des nègres ». Belley mourut en 1805.

La délégation est victime d’agressions sur son parcours, qui montrent bien les tensions à l’œuvre. Le député Dufay rapporte ainsi une anecdote selon laquelle un émigré, réfugié à Philadelphie après les révoltes dans la Caraïbe et désireux de se venger des Noirs et de la Révolution, aurait agressé Belley et ses compagnons, et lui aurait violemment rappelé la hiérarchie des races dans la société coloniale (doc. 25). L’anecdote permet de construire la figure de Belley en héros, symbole de la lutte pour l’abolition et l’égalité, mais s’insère également dans la perspective révolutionnaire. En effet, Dufay construit ici le soldat noir en révolutionnaire et républicain engagé, face à des émigrés contre-révolutionnaires et racialistes.

3. Les débats sur l’abolition à Paris

Dufay est colon de fraiche date (vers 1780), époux de la propriétaire d’une sucrerie, poterie et cafèterie, qu’il quitte en 1785 pour retourner en métropole, avant de revenir à Saint-Domingue en 1791. On sait qu’il est Jacobin, mais on ignore son engagement plus précis dans la Révolution : sa seule trace est ce discours de 8 pages, morceau de bravoure rhétorique et politique qui enleva le vote de la Convention.

Avec beaucoup de prudence, pour les rassurer, Dufy présentent aux députés de la Convention une situation qu’ils ignorent largement ou ne connaissent que par les échos déformés du lobby colonial dépeignant une nouvelle Vendée. Il est vrai que la révolution noire à Saint-Domingue est un événement traumatique pour les maîtres, et que les journées de juin 1792 au Cap sont les plus meurtrières de toute la Révolution, faisant entre 3 000 et 10 000 morts, plus les destructions, viols, blessures, etc.

Dufay doit faire comprendre qui est véritablement du côté de la France et des idéaux de la République, et qui n’en a que l’apparence. Pour cela, il représente avec force le combat des commissaires civils contre les colons soulevés, la violence de la lutte entre Noirs et Blancs, celle de l’opposition entre planteurs et esclaves. Dans ce combat, les patriotes sont les Noirs et les planteurs blancs les traitres, à la France par l’alliance avec les Anglais et à la Révolution, car ces aristocrates défendent leurs intérêts de classe (doc. 26). Face à eux, les Noirs héroïques qui, comme les sans-culottes, conquièrent leurs droits et les imposent en combattant pour la République (doc. 27). Dufay entremêle les catégories de race et de classe pour construire des groupes clairement identifiables pour les députés. Pourtant, les esclaves aussi avaient négocié avec les Anglais ou les Espagnols. Il s’agit pour lui de montrer que l’affranchissement était une mesure de bonne politique, pragmatique. Ce faisant, il rend leur légitimité à Sonthonax et Polverel, qui ont par cette mesure apaiser l’île et récompenser des combattants.

Dufay justifie ensuite l’extension de cette liberté à tous les hommes noirs par le décret d’août par le contexte de liesse populaire irrépressible, et à toutes les femmes noires par leur rôle de matrice de la République. Plus encore, les Noirs réclament la preuve de la liberté pour tous et toutes, et donc la citoyenneté sans condition de sexe (doc. 28). Il est remarquable qu’au moment où, en métropole, les clubs féminins sont interdits (octobre 1793), dans les colonies, on revendique l’égalité des droits entre hommes et femmes. On peut mettre le discours en regard avec Der Schlüssel, qui montre les femmes dans l’action révolutionnaire et le souci des Noirs de les libérer aussi.

Dufay rassure ensuite ses collègues : l’affranchissement n’est pas le désordre (les Noirs restent soumis à un régime de travail) ni la ruine (doc. 29). Au contraire, un travailleur libre est plus productif. La contrepartie de l’abolition semble déjà préfigurer l’indemnité demandée en échange de l’indépendance haïtienne.

Il conclut sur la nature bonne et sensible des Noirs et sur l’invention par les Français d’une République à l’image de leur drapeau, tricolore (« Européens, Créoles et Africains »), plus aboutie que la révolution américaine qui a maintenu le système esclavagiste.

L’abolition est donc votée à l’unanimité le 16 pluviôse an II (4 février 1794), sans indemnités aux colons, dans toutes les colonies françaises, et sans moratoire : la France est le premier pays à le faire (doc. 30). L’abolition est notamment célébrée en images. Un dessin de Moncieux rassemble différentes scènes marquantes : Marie Dupré, citoyenne de couleur, qui vient de s’évanouir et se remet[14], les députés domingois qui s’étreignent, la salle explosant de joie. Ce dessin illustre exemplairement la politique de l’émotion qui distingue l’Assemblée [Serna, 2014]. On peut l’opposer à une allégorie plus complexe, qui s’attache à représenter le sens de l’événement pour mieux le glorifier, mais aussi le justifier dans une perspective révolutionnaire (doc. 31). La politique des émotions et l’appropriation des symboles révolutionnaires se lit aussi dans les (ré)écritures de chants proposées par deux citoyennes de couleur pour célébrer l’abolition : la citoyenne Corbin compose une Marseillaise « des citoyens de couleur »[15], et la citoyenne Dubois compose une « L’Union américaine »[16].

4. Les conséquences de l’abolition

L’abolition est étendue ainsi à toutes les colonies françaises, sauf la Martinique, occupée par les Anglais. En effet, la Caraïbe est toujours un lieu de lutte entre les grandes puissances européennes et un espace de construction et d’affirmation de la puissance, par la possession territoriale et par le contrôle des richesses des îles que cela procure (doc. 32). C’est aussi ce contexte qui explique l’abolition, dont les députés ont bien compris l’intérêt pratique pour eux : les anciens esclaves font de bons défenseurs de la République qui les a libérés.

Conséquence politique aussi : si les Noirs deviennent citoyens pour prix de leur engagement républicain, que deviennent les citoyens blancs qui ont trahi la République ? Ils sont déchus de leur citoyenneté pour que les 400 000 noirs le deviennent. La citoyenneté reste exclusive, même si elle s’applique au plus grand nombre. Au même moment sont exclus des Jacobins les membres nobles. La République n’est pas strictement sans distinction de naissance.

Enfin, le lendemain du vote a lieu un autre ébat, tout aussi important bien qu’oublié : que faire contre les attaques visant la liberté ou la citoyenneté d’un citoyen ? Cela répond notamment aux protestations des planteurs qui ont été contraints de renoncer à leur propriété – les esclaves – et voudraient les récupérer. Le député Thuriot, proche de Danton, invente alors un « crime de lèse humanité », construit sur le modèle du crime de lèse-majesté, qui condamne toutes les violations des droits fondamentaux des personnes. En cette année du 20e anniversaire de la loi Taubira faisant de l’esclavage un crime contre l’humanité, il n’est pas inutile de rappeler la profondeur historique de la notion, et qu’elle ne fut inventée ni en 2000 ni en 1945, ou plus exactement qu’elle fut à ces dates l’aboutissement d’un long processus de réflexion commencé lors de la révolution.

Le lobby colonial reste cependant actif, et profite du Directoire pour placer des hommes, notamment au ministère de la Marine, chargé des colonies. Les planteurs exilés continuent parallèlement le combat au côté des Anglais et des Espagnols (docs. 33 et 34). La situation semble leur redevenir favorable avec l’arrivée au pouvoir de Napoléon : certes, il garantit aux Noirs leurs liberté, mais son entourage, à commencer par Joséphine, est largement esclavagiste et lui-même ne peut accepter les ambitions autonomistes de Toussaint Louverture et voudrait un vase empire américain entre Louisiane et Saint-Domingue. Il fait donc sortir cette dernière du droit commun dans la Constitution de l’an VIII pour mieux la contrôler.

Il envoie en décembre 1801 le général Leclerc et 30 000 hommes pour pacifier l’île, mais secrètement pour déporter les officiers noirs, désarmer la population et rétablir l’esclavage. Les buts militaires ne sont pas atteints, mais le rétablissement est annoncé le 20 mai 1802 par la loi maintenant l’esclavage là où il existait encore (Martinique, Mascareignes), et le restaurant en Guadeloupe (doc. 35).

4 – L’indépendance d’Haïti

Saint-Domingue n’est pas concerné par ce rétablissement, car les habitants viennent de conquérir leur indépendance après plusieurs années de lutte.

En effet, depuis le départ des commissaires civils en 1794, l’autorité est exercée par Toussaint Louverture grâce aux victoires de ses troupes (doc. 36). Les commissaires envoyés en 1795, 1797 et 1799, ne peuvent rien faire sans son accord. Il devient général en chef en 1797 et ses quelque 30 000 hommes représentent environ 60% des dépenses de la colonie.

La figure de Toussaint est intéressante à travailler avec les élèves, car elles résument les enjeux et les complexités, voire les contradictions, de la Révolution à Saint-Domingue : ancien esclave devenu propriétaire d’esclaves ; d’abord colonel de l’armée espagnoles contre la Révolution puis soutien de la République. On voit que dans la société coloniale ce qui fonde l’identité, ce n’est pas toujours la couleur de peau, mais aussi la richesse et le statut juridique (libre ou non). Cela se voit aussi par l’étude de système économique promu par Toussaint : la continuation du système de plantation, mais au profit des Noirs, et donc le remplacement des colons blancs par une aristocratie créole dirigeant la masse des cultivateurs pauvre (doc. 37). Le propre neveu de Toussaint, Moyse, entraine un soulèvement des petits paysans du Nord mais finit exécuté.

Toussaint Louverture est central dans la nouvelle Der Schlüssel, bien qu’il n’en soit pas un protagoniste et a fait l’objet de nombreux portraits, en général républicain ou traitant avec les Anglais, dont il obtient en 1798 le départ de l’île, en échange d’accords commerciaux et diplomatiques secrets. Il défait ensuite son rival mulâtre, Rigaud, et reconquiert la partie est de l’île, occupée par les Espagnols : il réalise ainsi la réunification de l’île fin 1801. Il double cette réalisation territoriale d’une réalisation juridique avec la rédaction d’une Constitution en juillet 1801, par laquelle il réaffirme la liberté et l’égalité et instaure un pouvoir législatif, un pouvoir judiciaire et un pouvoir exécutif entre les mains d’un gouverneur général à vie, lui-même. Derrière les belles proclamations de fidélité à la métropole, il construit un Etat, ce qui motive l’intervention militaire décidée par Napoléon.

Ce débarquement en février 1802 rencontre une résistance certaine mais insuffisante, aussi parce que la société noire est divisée. Toussaint Louverture est arrêté et exilé en juin 1802, vers la France où il meurt en avril 1803. Cela ne signifie pas, cependant, la fin de la révolution : les populations noires se soulèvent à nouveau lorsque le général Leclerc entend les désarmer et que les Domingois apprennent le rétablissement de l’esclavage en Guadeloupe. Les généraux noirs de l’armée napoléonienne désertent et rejoignent Dessalines, lieutenant de Toussaint qui l’a remplacé. Les Français capitulent le 18 novembre 1803 (Vertières) et reconnaissent la nouvelle République d’Haïti, proclamée le 1er janvier 1804 : la colonie est devenue indépendante, et les esclaves libres.

Toutefois, cette indépendance n’est pas tranquille. Henry Christophe et Alexandre Pétion s’affrontent pour le pouvoir et provoquent une guerre civile longue (1807-1820) et meurtrière. Les écarts sociaux profonds entre grands propriétaires et petits cultivateurs persistent et s’accentuent, renforçant les tensions (doc. 38). Enfin, la France, qui n’a pu éviter d’accorder l’indépendance, s’attache à la contrecarrer en maniant les armes diplomatiques et économiques. Elle obtient lors du Congrès de Vienne le conditionnement de la reconnaissance officielle du pays à sa propre volonté, et le fait payer fort cher, par des compensations visant à dédommager les colons expropriés. Sans cette reconnaissance, pas de commerce, et donc pas de survie, possibles. En 1825, Haïti paie donc 150 millions de francs, une somme astronomique : c’est un an du budget français. Et pour payer, la jeune République emprunte 30 millions… aux banques françaises, ce qui ouvre une spirale d’endettement et la mène à la quasi-banqueroute. Pour rembourser, la culture du café, produit spéculatif et potentiellement très lucratif, est encouragé, ce qui soumet l’île aux cours mondiaux et entrave aussi le développement agricole et économique harmonieux. Certes, la France accepte de réduire la dette à 90 millions, mais l’île est devenue assujettie à la finance métropolitaine et son développement est à l’arrêt.

En conclusion : paradoxes de l’abolition et mémoires de l’événement

L’expérience haïtienne fut donc un tournant dans la Révolution française, l’infléchissant vers plus d’égalité entre les hommes. L’abolition et la citoyenneté universelle, accordées en 1794, n’étaient pas en germe dans les événements de 1789, mais ne furent obtenues que par la lutte armée menée par les esclaves, qui bénéficièrent aussi du contexte de guerre contre la Grande-Bretagne et des divisions de plus en plus fortes entre révolutionnaires.

C’est aussi le point de départ des abolitions dans le monde : Saint-Domingue une en 1822, les années 1820 pour les Etats d’Amérique centrale, 1829 au Mexique, 1833 dans les colonies anglaises. Ces abolitions décalées provoquaient aussi des fuites d’esclaves depuis les colonies, notamment françaises, où l’esclavage était encore en vigueur. Cela entraine des fuites d’esclaves des colonies françaises. On peut remarquer que sur les territoires continentaux, l’abolition fut décidée après l’obtention de l’indépendance, par des populations libérées de la tutelle coloniale, et peut-être pour souder l’ensemble de la population et fabriquer l’idée de « nation ». Inversement, sur les îles caraïbes, l’abolition est obtenue avant l’indépendance, et même, à l’exception notable d’Haïti, en est déconnectée. L’abolition accordée par les métropoles ne signifiait pour ces dernières ni perte de contrôle ni perte de possession des colonies. Les colonies anglaises de la Caraïbe, par exemple, profitèrent surtout du plus faible intérêt qu’elles suscitaient alors face aux colonies asiatiques en plein développement prometteur. Enfin, le modèle haïtien fut surtout un contre-modèle pour les représentants politiques des autres régions de la Caraïbe, soucieux d’éviter l’embrasement de leur pays, qu’ils fussent ou non en faveur de l’abolition.

Par ailleurs, il faut noter que les conditions de vie des populations affranchies ne changèrent guère : émancipation politique ne signifie pas enrichissement, ascension sociale ou émancipation économique. L’obtention du premier terme de la devise révolutionnaire et républicaine française n’entrainait l’acquisition du deuxième pour les populations affranchies. Ni d’ailleurs pour les nouveaux travailleurs qui les remplacèrent ou les complétèrent, main d’œuvre libre et sous-contrat déplacée d’Asie, dont les conditions de vie et de travail étaient tout aussi inhumaines que celles qu’avaient connues les esclaves. Cela rejoue aujourd’hui autour de la question des réparations à verser aux descendants d’esclaves. La question est particulièrement vive à Haïti, puisque lors de l’abolition ce sont les propriétaires qui ont été indemnisés, car ils perdaient un bien ; on ne considéra pas la réparation morale qui pouvait être due aux esclaves.
Il faut également ajouter que la République haïtienne contracta une dette énorme auprès de la France, pour prix de son indépendance : les 150 millions qu’Haïti accepta de payer en 1825 impliquèrent un emprunt de 30 millions auprès des banques françaises, emprunt qui provoqua la quasi-banqueroute du pays. La France accepta certes un paiement ramené à 90 millions, mais cela n’arrêta pas l’endettement du pays. Toute la production du pays servait à ces versements et l’île devint profondément dépendante des banques et de la finance françaises. L’absence de développement de manufactures aux xviiie s., héritage de l’Exclusif, et l’impossibilité de financer un décollage industriel à cause de la dette, aggravèrent encore la misère du pays.

Enfin, l’esclavage est un élément central dans les identités nationales de la Caraïbes, et en particulier le moment de naissance de la nation haïtienne, deuxième Etat indépendant des Amériques.

En cette année de célébration napoléonienne en France, il n’est pas inutile de s’intéresser à la séquence 1791-1804 en Haïti pour nuancer la figure de l’Empereur, et pour montrer aussi aux élèves à quel point la mémoire collective est une construction sociale qui se distingue de l’histoire (doc. 39). Au pire ambivalent en France, Napoléon est sans contexte un personnage négatif dans la mémoire haïtienne, en raison du rétablissement de l’esclavage en 1802. Et, si Toussaint Louverture est signalé comme « général français » sur la plaque du jardin du XXe arrondissement de Paris portant son nom depuis… mai 2021, c’est une appropriation bien paradoxale, dans la mesure où il combattit la France, fut fait prisonnier et mourut dans une prison métropolitaine. La plaque dévoilée en son honneur au Panthéon en avril 2009 est tout aussi réductrice : associé de façon ambivalente aux grands hommes d’une Patrie qu’il combattit et dont il voulut s’affranchir, il est commémoré pour son combat contre l’esclavage, ce qui fait l’impasse sur son parcours plus complexe.

On peut souligner aussi que Toussaint occulte les autres acteurs de la révolution : Dessalines, plus radical et qui obtint l’indépendance, Henri Christophe, qui devint le premier roi d’Haïti, Alexandre Pétion, président de la République du Sud, Catherine Flon, inventrice du drapeau haïtien, ou Sanité Belair. Ces acteurs, notamment les femmes, sont d’ailleurs occultés parfois en Haïti même, largement tourné vers la seule célébration de la victoire contre Napoléon construit en figure repoussoir. Sanité Belair qui fut sergent puis lieutenant de l’armée de Toussaint Louverture, a certes les honneurs d’un billet (doc. 40), mais c’est la seule femme ainsi distinguée et sur le billet de la plus faible valeur (10 gourdes). On y voit aussi les tensions internes aux révolutionnaires haïtiens : en 1802, avec son mari, elle appela à l’insurrection la population d’une province occidentale d’Haïti, mais leur intervention échoua notamment car Dessalines jugea plus prudent de ne pas les aider. Capturés, ils furent condamnés à être pendus. Le grade militaire de Charles Belair lui valut d’être fusillé, ce que Sanité obtint également, à sa demande. Là encore, la mémoire ne peut être univoque et ouvre en réalité de multiples interrogations et contradictions, comme l’ensemble de ce moment, ce qui en fait la complexité mais aussi la richesse d’étude.

Documents :

Bibliographie sélective

Sources :

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Petite banque d’images sur la question de l’esclavage pendant la Réovlution : https://www.1789-1799.com/2012/01/abolition-de-lesclavage-le-16-pluviose.html [dernière consultation le 1er juin 2021]

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Frick Carolyn, Haïti, naissance d’une nation. La révolution de Saint-Domingue vue d’en bas, Bécherel, Les Perséides, 2014.

Serna Pierre, « Que s’est-il dit à la Convention les 15, 16 et 17 pluviôse an II ? Ou lorsque la naissance de la citoyenneté universelle provoque l’invention du « crime de lèse-humanité », dans La Révolution française. Cahiers de l’Institut d’histoire de la Révolution française, 7, 2014, en ligne : https://journals.openedition.org/lrf/1208 [dernière consultation le 1er juin 2021].

Toussaint Louverture et l’abolition de l’esclavage, documentaire et livret, CRDP Franche-Comté, 2009 [imparfait mais utile].

Sur Minette :

Dubois Laurent, « Heroines of the Haitian Revolution », Publibooks, 2017, en ligne : https://www.publicbooks.org/heroines-of-the-haitian-revolution/ [dernière consultation le 1er juin 2021].

Sur la mémoire et l’enseignement de l’événement :

Kodjo-Grandvaux Séverine et Kane Coumba, « Les générations actuelles ont la responsabilité de regarder le passé esclavagiste en face », entretien avec Marie-Albane de Suremain, Le Monde, 1er mars 21.

Mesnard Eric, « L’histoire enseignée doit prendre en compte la complexité et la variété des héritages », Le Monde, 10 mai 2021.

Suremain Marie-Albane de et Mesnard Éric (dir.), Enseigner les traites, les esclaves, les abolitions et leurs héritages, Paris, Karthala, 2021.

Arts & littérature :

Dauphin Claude, « Musique : le mémorial sonore de l’abolition autour de trois pièces musicales », colloque du Collège de France « Haïti : littérature et civilisation », 20 juin 2019, en ligne : https://www.college-de-france.fr/site/yanick-lahens/symposium-2019-06-20-11h30.htm [dernière consultation le 1er juin 2021]. Extraits et analyses de trois œuvres haïtiennes portant sur l’esclavage, dont la première est contemporaine de la Révolution.

Müller Heiner, Der Auftrag, 1979, dans Die Stücke, 3, Frankfurt, Suhrkamp, 2002, p. 11-42. Traduit par Jean Jourdheuil et Heinz Schwarzinger, La mission, Paris, Minuit, 1982.

Seghers Anna, Karibische Gechichten, Berlin, Aufbau-Verlag, 1962. Traduit par Claude Prévost, Histoires des Caraïbes, Paris, L’Arche, 1972.

Drei Frauen aus Haiti, Berlin-Weimar, Aufbau-Verlag, 1980, repris dans Werkausgabe: Erzählungen 1967-1980, Berlin, Aufbau-Verlag, 2005. Traduit par Bruno Meur, postface d’Hélène Roussel, Trois femmes d’Haïti, Paris, Le Temps des Cerises, 2014.

Une table ronde autour de ces nouvelles organisée par la Maison Heinrich Heine a été publiée : Roussel Hélène, Meur Bruno, Radvanyi Pierre, « Anna Seghers : Trois femmes d’Haïti. Trois portraits de femmes aux prises avec l’Histoire », dans Allemagne d’aujourd’hui, 2015/1, n°211, p. 157-172, en ligne : https://www.cairn.info/revue-allemagne-d-aujourd-hui-2015-1-page-157.htm [dernière consultation le 1er juin 2021].

Vieux-Chauvet Marie, La danse sur le volcan, Paris, Plon, 1957.


[1] Ce texte n’existerait pas sans les longues et passionnantes conversations avec Manuel Covo, que je remercie pour les pistes qu’il m’a suggérées, ainsi que pour sa relecture.

[2] https://la1ere.francetvinfo.fr/ceremonie-du-10-mai-le-silence-d-emmanuel-macron-est-d-une-grande-violence-1005268.html. Sur l’enseignement de la traite et de l’esclavage dans une perspective comparée, voir Suremain et Mesnard 2021.

[3] Jacques Godechot, Les Révolutions 1770-1799, Paris, PUF, 1963 ; Robert Palmer, The Age of Democratic Revolutions, Princeton UP, 1959 (vol. 1) et 1964(vol. 2).

[4] En raison des difficultés d’accès aux bibliothèques, il ne m’a pas toujours été possible de revenir aux textes pour en sélectionner des extraits. Cela pourra être ajouter sur le site de la revue dans le futur.

[5] Traduit par Pierre Deshusses, Paris, Gallimard, 2001.

[6] Die Hochzeit von Port-au-Prince, Haïti Chérie, Rede des toten Kolumbus am Tag des Jüngsten Gerichts, les trois chez Suhrkamp, 1984, 1990 et 1992, et traduits par Nicole Casanova chez Grasset.

[7] Ce qui est peut-être un préjugé de ma part ! Je remercie Annie Burger de m’avoir signalé la pièce de Heiner Müller, Der Auftrag.

[8] Adapté en film en 1976 par Helmut Nitzschke.

[9] Debuisson dans l’original, de même dans le texte d’H. Müller.

[10] Sasportas devient Noir dans la pièce.

[11] Essentiellement aux XVIIe s.

[12] Le recueil rassemble trois textes très brefs qui raconte trois moments de l’histoire d’Haïti autour de trois figures de femmes qui incarnent la résistance à l’oppression. Toaliina dans Der Versteck, capturée par les Espagnols pour être emmenée à la cour de Madrid mais qui s’enfuit ; Claudine dans Der Schlüssel, esclave libérée qui suivit son époux ; Luisa dans Die Trennung, sous la dictature Duvallier.

[13] Décret du 24 mars 1792 de l’Assemblée législative, puis loi du 4 avril 1792 promulguée par Louis XVI.

[14] L’émotion de Marie Dupré conduit un député proche de Danton à demander la reconnaissance de ses vertus civiques.

[15] https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9335x/f164.item.

[16] https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9335x/f160.item.

Révolution française aux Antilles – Documents

Documents

1 – Saint-Domingue avant la Révolution

Doc. 1 : Les possessions coloniales en Amériques centrale et du Sud vers 1750

Haack Weltatlas, Stuttgart/Gotha, Klett, 2007, p. 205.

Doc. 2 : Les colonies dans les Antilles à la fin du xviiie s.

Atlas des Amériques, Les Atlas de l’Histoire, n°376, mai 2012, p. 35.


1.  L’économie de plantation

Doc. 3 : Le commerce triangulaire

Atlas des Amériques, Les Atlas de l’Histoire, n°376, mai 2012, p. 34.

Doc. 4 : L’Amérique au centre du commerce mondial

Atlas des Amériques, Les Atlas de l’Histoire, n°376, mai 2012, p. 32-33.

Doc. 5 : Esclaves préparant le tabac et râpant le manioc nécessaire à leur nourriture

Gravure, Histoire de la Guadeloupe sous l’Ancien régime, 1635-1789, Paris, 1928, repris dans Seghers, 1962.

2. Composition de la société

Doc. 6 : Composition de la population

  • à Saint-Domingue :
Beschreibung der westindischen Insel San Domingo, V. P. Malvet, Weimar, 1808, repris dans Seghers, 1962.  
  • dans les Antilles françaises en 1788-1789 :
 BlancsLibres de couleur (affranchis)Esclaves
Saint-Domingue (partie occidentale de l’île, sous domination française)40 00028 000452 000 (certain auteurs parlent de 700 000)
Martinique15 0004 85183 416
Guadeloupe13 4663 04485 461
Sainte-Lucie2 1591 58817 221
Manuel d’histoire Seconde, programme 2012.

Doc. 7 : La population des Antilles

Die Aufhebung der Sklaverei war durch die Nationalversammlung schon lange beschlossen worden. Der Konvent hatte sie als Gesetz erlassen. Er hatte vor bald drei Jahren den Kommissar Hugues nach Guadeloupe geschickt, um die Trikolore auch hier zu pflanzen. Der bloße Anblick von Blau-Weiß-Rote erregte alle Menschen auf den Antillen. Die Inseln lagen im Karibischen Meer durcheinandergemengt, mit englischen, panischen, französischen, holländischen, portugiesischen Fahnen, wie sie Piraten und Abenteurer auf dem Weg nach Amerika entdeckt und besiedelt hatten. Unerschöpfliche schwarze Menschenmassen aus Afrika hatten eine Schiffsladung Arbeitskraft nach der anderen abgegeben, nach die Urbevölkerung in den Bergwerken und in den Mühlen zugrunde gegangen war. Seit der Französische Revolution drehten die Sklaven ihre Köpfe in verzweifelter Hoffnung nach der vorüberziehenden neuen Fahne. Mit Spott sahen ihr die Plantagenbesitzer auf den Veranden der Villen nach und ihre Frauen und Töchter aus Hängematten.

Wiedereinführung der Sklaverei in Guadeloupe, dans Seghers, 1962, p. 64.

Doc. 8 : Les oppositions entre les groupes sociaux de Saint-Domingue

Die Kommissare [Sonthonax und Polverel] hatten zwar diktatorische Vollmachten in den Taschen. Wer aber sollte ihnen auf dieser Insel helfen, die Trikolore aufzupflanzen und zu verteidigen? Bestimmt nicht die Grundbesitzer; denn sie hassten uns. Wenn noch nicht alle geflohen waren, dann nur, weil sie mit einer raschen Änderung, mit der Ankunft der Engländer rechnete. Bestimmt nicht die zahlreichen kleinen Weißen – Geschäftsleute, Handwerker, Beamte. Denn die waren auf Treu und Verderb an ihre Kundschaft, die Reichen, gebunden. Auch nicht die Mulatten. Ob die reich oder arm waren, sie hassten die neue Gleichheit, die ihnen kein anderes Recht zudachte als den Negern. Gerade von diesen sich abzusondern, waren sie ihr Lebtag bemüht gewesen, vielleicht seit Generationen.

Das Licht auf dem Galgen, dans Seghers 1962, p. 137.

Doc. 9 : Stratification sociale à Saint-Domingue

Die Hausbesorgerin des Gutes Evremont trat unter dasselbe Vordach, das die zwei Männer beschattete. […] Sie verbeugte sich vor den Männern, weil sie ihnen als Schwarze im Rang unterlegen war, aber ohne Regung in ihrem ohnedies harten Gesicht, weil sie in diesen zwei jüdischen Händlern die kleinsten der „kleinen Weißen“, ihrem Herrn an Rang tief unterlegen, begrüßte.

Die Hochzeit von Haiti, dans Seghers 1962, p. 9.

3. Créolisation

Doc. 10 : Mode et manières de vivre chez les planteurs

Seit man in großem Maßstab, unter restloser Ausnutzung schwarzer Sklaven, Kaffee und Zuckerrohr pflanzte, war auf dem französischen Teil der Insel das häusliche Leben in den Gutshäusern so ausgeklügelt, so abgewogen, dass man, damit verglichen, sogar in Paris manch Annehmlichkeit entbehrte. Die Frauen und Töchter erinnerten gar nicht mehr an die Frauen und Töchter der ersten französischen Siedler. Um der Ansiedlung nachzuhelfen, hatte Paris damals die Insassinnen der Salpeterie, die wegen allerhand Diebstahls- und Prostitutionsdelikten bestraft worden waren, auf die entlegene Insel verfrachtet. Die Nachfolgerinnen schaukelten sich in Hängematten zwischen Decken und Dielen der Gutshäuser. Sie waren verblüffend weißhäutig unter der rasenden Sonne geblieben. Aus den Maschen der Hängematten guckten Zehen und Finger und Locken und rosa und gelbe Seidenwölkchen hervor. Pariser Schnittmuster fanden rascher Absatz als sonst ein Heimatprodukt. Die Haussklavin, die ihre Herrin mit einer Tasse Kakao oder Kaffen, mit einem Fächer oder mit einem Fliegenwedel bediente, fürchtete sich, etwas falsch zu machen oder zu verschütten. Ein geringes Versehen hieß, zur Feldarbeit versetzt zu werden, wenn nicht halbtot geschlagen.

Die Hochzeit von Haiti, dans Anne Seghers 1962, p. 8.

Doc. 11 : Le marché aux tissus de Saint-Domingue

Gravure d’Agostino Brunias, Londres, 6 octobre 1804.

Doc. 12 : Extrait du Dialogue créole, M. E. Descourtilz, années 1790-1802

 

Dauphin 2019

Doc. 13 : Portrait du Noir selon le député Dufay

Les noirs ne sont pas cruels […], ils sont patients, exorables, et généreux. Les noirs ont même le germe des vertus, ces vertus leur appartiennent, leurs défauts viennent seuls de nous ; ils sont naturellement doux, charitables, hospitaliers, très sensibles à la piété filiale, ils aiment la justice et ont le plus grand respect pour la vieillesse ; ces vertus, peuple français, les rendent encore plus dignes de toi.

Archives parlementaires, t. 84, cité dans Serna, 2014.

2 – Antilles et Révolution

  1. Les limites des Lumières et des premiers temps de la Révolution

Doc. 14 : Conséquences de l’esclavage : la révolte future des Noirs

Vous verrez alors quelle différence met la vertu entre des hommes qui secourent des opprimés, & des mercenaires qui servent des tyrans.

Que dis-je ? Cessons de faire entendre la voix inutile de l’humanité aux peuples & à leurs maîtres elle n’a peut-être jamais été consultée dans les opérations publiques. Eh bien ! Si l’intérêt a seul des droits sur votre âme, nations de l’Europe, écoutez-moi encore. Vos esclaves n’ont besoin ni de votre générosité, ni de vos conseils, pour briser le joug sacrilège qui les opprime. La nature parle plus haut que la philosophie & que l’intérêt. Déjà se sont établies deux colonies de nègres fugitifs, que les traités & la force mettent à l’abri de vos attentats. Ces éclairs annoncent la foudre, & il ne manque aux nègres qu’un chef assez courageux, pour les conduire à la vengeance & au carnage.

Où est-il, ce grand homme, que la nature doit à ses enfants vexés, opprimés, tourmentés ? Où est-il ? Il paroîtra, n’en doutons point, il se montrera, il lèvera l’étendard sacré de la liberté. Ce signal vénérable rassemblera autour de lui les compagnons de son infortune. Plus impétueux que les torrens, ils laisseront partout les traces ineffaçables de leur juste ressentiment. Espagnols, Portugais, Anglois, François, Hollandois, tous leurs trans deviendront la proie du fer & de la flamme. Les champs Américains s’enivreront avec transport d’un sang qu’ils attendaient depuis si long-temps, & les ossements de tant d’infortunés entassés depuis trois siècles, tressailliront de joie. L’ancien monde joindra ses applaudissements au nouveau. Par-tout on bénira le nom du héros qui aura rétabli les droits de l’espèce humaine, par-tout on érigera des trophées à sa gloire. Alors disparoitra le code noir ; & que le code blanc sera terrible, si le vainqueur ne consulte que le droit de représailles !

En attendant cette révolution, les nègres gémissent sous le joug des travaux, dont la peinture ne peut que nous intéresser de plus en plus à leur destinée.

Abbé Raynal, Denis Diderot et al., Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes, Amsterdam, 1770, p. 204-205. Disponible sur Gallica.

Doc. 15 : Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 1789

Les représentants du peuple français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir  […] en soient plus respectés ; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous. […]

Article 1er

Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.

Article 2

Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression.

https://www.conseil-constitutionnel.fr/le-bloc-de-constitutionnalite/declaration-des-droits-de-l-homme-et-du-citoyen-de-1789

Doc. 16 : Revendications de libres de couleur

S’il n’existait pas une distinction d’ordres [à Saint-Domingue], il y avait, et il existe encore, à la honte de l’humanité, une distinction de classe ; d’abord on ne rougissait pas de mettre entièrement à l’écart, et d’abaisser au nombre des bête de somme, ces milliers d’individus qui sont condamnés à gémir sous le poids honteux de l’esclavage. Ensuite on faisait une grande différence entre les citoyens de couleur affranchis et leurs descendants, à quelque degré que ce fût, et les colons blancs. Ceux-ci, coupables encore de l’esclavage qu’ils ont introduit, qu’ils alimentent, qu’ils perpétuent, et dont ils ont cependant la barbarie de faire un crime irrémissible aux citoyens de couleur.

Lettre des citoyens de couleur des îles et colonies françaises, 23 novembre 1789.

2. Information et débats

Doc. 17 : Clubs de discussion à Paris

„Ich habe mich in Paris um alles gekümmert, als sei ich bereits in Haiti wohnhaft, ja, hier geboren. Ich wurde ein ständiger Gast in de Café, in dem die Mulatten sitzen; Sie waren nicht übel; sie wussten manches zu denken und zu sagen. Ich war ein Gast in der ‚Gesellschaft der Freunde der Schwarzen‘. Du hast vielleicht in der Zeitung den Namen von Lafayette schon gelesen. Vielleicht auch von Robespierre, der ein Anwalt ist. Er fordert die Bürgerrechte sogar für die Schwarzen. Er hat sie noch nicht für sich selbst, und er will sie für alle, für Juden, für Indios, für Neger, für Mulatten. ‚Jetzt sind sie alle verrückt in Paris‘, sagt Léon, ‚und deine Verrückten, Michael, sind die Allerverrücktesten.‘

Verstehst Du das, Mali? Jetzt, wo viel von den Bürgerrechte die Rede ist, will sie zwar jede Gruppe für sich, aber um Gottes willen nicht für alle. Jeder will schon im Voraus, dass sie etwa Besonderes sind, falls er sie auch bekommt, verstehst du?“

Die Hochzeit von Haiti, dans Seghers 1962, p. 21.

Dans cet extrait, c’est le personnage principal, Michael, qui parle à sa sœur de ce qu’il vient de vivre à Paris avant son arrivée récente à Saint-Domingue. Léon est un cousin resté à Paris.  La fin de Der Schlüssel évoque aussi la Société des Amis des Noirs.

Doc. 18 : L’information des esclaves

Die Negersklaven in Haiti, sagte er, hätten genau gewusst, was in Frankreich geschah. Beim Bedienen hätten die Haussklaven zugehört, worüber die Tischgesellschaften sprachen: die Demonstrationen, der Zug nach Versailles, der Sturm auf die Bastille, die Beschlüsse der Nationalversammlung.

Das Licht auf dem Galgen, dans Seghers 1962, p. 136-137.

Doc. 19 : Revendications d’esclaves

Messieurs,

[…] Souvenés-vous que nous Nègres, tous tant que nous sommes, nous voulons périr pour cette liberté, car nous voulons et prétendons de l’avoir à quelques prix que ce puisse être, même à la faveur des […] canons et fusils. Comment depuis combien de centaines d’années, nos pères ont été assujettis à ce sort qui rejaillit jusqu’à présent sur nous. Est-ce que le bon Dieu a créé quelqu’un esclave ? Le Ciel et la Terre appartient au Seigneur Dieu ainsi tout ce qu’il renferme. Vous avés subornés nos précédents, non seulement eux, mais encore leurs descendants, cela n’est-il pas horrible, Messieurs, il faut croire en vérité que vous soyiés bien inhumains pour ne pas être touché de la commisération des souffrances que nous endurons. La Nation même la plus barbare fondrait en larmes si elle savait nos maux ; je vous laisse un peu à penser avec quelle promptitude chercherait-elle à abolir une loi si odieuse ; enfin c’est en vain que nous vous prenons par des motifs de sentiments et d’humanité car vous n’en avés pas. Mais à la faveur des coups nous l’aurons, car nous voyons que c’est le seul moyen d’en venir à bout. […]

Messieurs. Nous avons l’honneur d’être

[Signé par] nous Nègres.

Extrait d’une lettre adressée à M. de Molerat, commandant militaire de Saint-Pierre (Martinique), le 28 août 1789. Les fautes de français sont dans l’original.

3. Les révoltes à Saint-Domingue

Doc. 20 : Vue de l’incendie de la ville du Cap-Français

Gravure de J.-L. Boquet, 21 juin 1793.

Doc. 21 : L’insurrection des esclaves, 1791-1793

Gravure, 1797, musée d’Aquitaine, Bordeaux.

3 – Les étapes de l’abolition

  1. La première abolition

Doc. 22 :La révolte de 1791 et l’envoi des commissaires civils

Scheinbar plötzlich, im August 91, hätten sich alle Nager auf Haiti erhoben, hunderttausend auf mehr als zweihundert Zuckerplantagen, sechshundert Kaffeeplantagen, zweihundert Baumwollplantagen und anderen. Sie seien von Farm zu Farm gezogen; bald hätte das Zuckerrohr gebrannt, die Gutshäuser hätten Feuer gefangen, die ganze Insel hätte gebrannt, es hätte bis in den Urwald gezüngelt und bis in die Städte hinein. Es habe lange so ausgesehen, als sei die beste, die wertvollste Insel für Frankreich verloren, wenn nicht durch die Brände, dann durch die Engländer, die sie jeden Tag überfallen und schlucken konnten.
Der Konvent hätte zuverlässige und entschlossene Männer nach Haiti geschickt, drei Kommissare – einer von ihnen hieß Sontonax –, von Militär begleitet, mit Vollmächten ausgestattet. Die alten großen Reiche, England und Spanien, in ihrer Wut auf die junge Republik, hätten den Ozean belauert, von der Biskaya bis Westindien. Aber sie seien angekommen. […]
Der Kommissar Sontonax sah ein, dass ihm keine anderen Bundesgenossen blieben als die Neger. Aber wollten die ihm helfen? Die misstrauten den Weißen, ihrem Freiheitsgerede. Wenn auch die Weißen diese Revolution begonnen hatten – wahrscheinlich, so dachten die Neger, war es nur ihre eigene Revolution, mit Vorteilen nur für die Weißen, mit Freiheit und Gleichheit nur für die Weißen.

Das Licht auf dem Galgen, dansSeghers 1962, p. 136-137.

Doc. 23 : Les divisions autour de la question de l’abolition

In Frankreich waren die Grundherren verjagt, die Leibeigenschaft war abgeschafft. Die Grundbesitzer von Haiti weigerten sich entschieden, das Lilienbanner mit der Trikolore zu vertauschen. Ihr Kaffee, ihr Zucker, ihr Indigo, das war ihr Erbe und ihr Besitz, das war auch der Stolz und der Reichtum Frankreichs Es sie unvorstellbar, hieß es, die Güter ohne die Sklaven zu bestellen. Die Aristokraten von Haiti brauchten nicht wie die von Paris nach London zu fliehen. Sie brauchten nur die englischen Kriegsschiffe aus den Häfen der Nachbarinsel herüberzurufen.
Die Kommissare [aus dem Konvent] und ihre Soldaten hatten auf die Hilfe der armen besitzlosen Weißen gebaut, der kleinen Weißen, wie sie in Haiti hießen. Doch was es an Weißen dort gab, war auf selten der Grundbesitzer. Wo sollte man hier eine Stellung finden, wenn keiner mehr da war, der einen bezahlte? Man konnte nicht einmal Friseur oder Schreiber werden ohne Leumundszeugnis von einem angesehenen Namen. Hier in der Kolonie war der Hunger noch bittere als daheim in Frankreich. Man ging vor die Hunde, und wie vor die Hunde! Ohne sicheres Dach hatte man die Wahl, an Malaria umzukommen oder an Typhus oder an Schlangenbissen.
Die Kommissare hatten sich darauf an die Mulatten gewandt. Sie hatten noch auf dem Schiff geglaubt, die Mulatte würden sie mit offenen Armen begrüßen. Sie kamen ja, zuerst das Gesetz ihrer Gleichberechtigung durchzuführen, das die Aristokraten erbitterte. Die Begeisterung der Mulatten war aber rasch abgekühlt, als sie hörten, wieviel Freiheit auf einmal in Paris zugestanden wurde. Aufhebung der Sklaverei? Was sollte den Mulatten, die länger selbst ihre Sklaven hielte, die Gleichberechtigung nutzen, wenn man ihnen auch die Sklaven nahm?

Die Hochzeit von Haiti, dans Seghers 1962, p. 33-34.

Doc. 24 : Proclamation du 29 août 1793 à Saint-Domingue

Aujourd’hui les circonstances sont bien changées ; les négriers et les anthropophages ne sont plus. Les uns ont péri victimes de leur rage impuissante, les autres ont cherché leur salut dans la fuite et l’émigration. Ce qui reste de blancs est ami de la loi et des principes français.

La majeure partie de la population est formée des hommes du 4 avril. De ces hommes à qui, vous devez votre liberté, qui, les premiers vous ont donné l’exemple du courage à défendre les droits de la nature et de l’humanité ; de ces hommes qui, fiers de leur indépendance, ont préféré la perte de leurs propriétés à la honte de reprendre leurs anciens fers. N’oubliez jamais, citoyens, que vous tenez d’eux les armes qui vous ont conquis votre liberté ; n’oubliez jamais que c’est pour la République française que vous avez combattu, que, de tous les blancs de l’Univers, les seuls qui soient vos amis sont les Français d’Europe. […]

Ne croyez cependant pas que la liberté dont vous allez jouir soit un état de paresse et d’oisiveté. En France, tout le monde est libre et tout le monde travaille. […] Rentrés dans vos ateliers ou chez vos anciens propriétaires, vous recevrez le salaire de vos peines ; vous ne serez plus assujettis à la correction humiliante qu’on vous infligeait autrefois ; vous ne serez plus la propriété d’autrui ; vous resterez les maîtres de la vôtre, et vous vivrez heureux.

Devenus citoyens par la volonté de la nation française, vous devez être aussi les zélés défenseurs de ses décrets ; vous défendrez, sans doute, les intérêts de la République contre les rois, moins encore par le sentiment de votre indépendance que par reconnaissance pour les bienfaits dont elle vous a comblés. La liberté vous fait passer du néant à l’existence, montrez-vous dignes d’elle : abjurez à jamais l’indolence comme le brigandage : ayez le courage de vouloir être un peuple et bientôt vous égalerez les nations européennes. Vos calomniateurs et vos tyrans soutiennent que l’Africain devenu libre ne travaillera plus. Démontrez qu’ils ont tort ; redoublez d’émulation à la vue du prix qui vous attend ; prouvez à la France, par votre activité, qu’en vous associant à ses intérêts, elle a véritablement accru ses ressources et ses moyens.

Article 1er : La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen sera imprimée, publiée et affichée, partout où besoin sera, à la diligence des municipalités dans les villes et bourgs, et des commandants militaires dans les camps et postes.

Article 2 : Tous les Nègres et sang-mêlé actuellement dans l’esclavage sont déclarés libres pour jouir de tous les droits attachés à la qualité de citoyen français ; ils seront cependant assujettis à un régime dont les dispositions sont contenues dans les articles suivants […]

Article 9 : Les Nègres actuellement attachés aux habitations de leurs anciens maîtres seront tenus d’y rester : ils seront employés à la culture de la terre […]

http://education.eurescl.eu/index.php/fr/histoire-trace-des-raites-et-esclavages/abolitions/64-l-acte-d-emancipation-des-esclaves-a-saint-domingue-1793

2. Les députés des Antilles

Doc. 25 : la citoyenneté par la vertu

Comment coquin, tu oses être officier dans un régiment ; tu as l’insolence de vouloir commander des blancs ? Et pourquoi pas ? leur répondit mon collègue (et avec une fierté énergique, l’expression de celui qui sent profondément sa dignité d’homme) ; je sers depuis vingt-cinq ans sans un reproche, et quand on sait sauver des blancs et les défendre, on peut bien les commander.

3. Les débats sur l’abolition à Paris

Doc. 26 : La traîtrise des planteurs blancs

Que tous les français se réveillent donc de leur léthargie ; qu’ils ouvrent enfin les yeux sur ces colons perfides, sur les serpents qu’ils réchauffent dans leur sein. Jamais les Anglais n’ont eu dans l’intérieur de la France des agents plus fidèles ni plus dangereux pour nous. Ne sait-on pas que tous les colons sont nobles, très nobles, hauts et puissants seigneurs, liés avec tous nos ennemis, émigrés et autres ; qu’ils ont à Londres […] peut-être deux mille colons comme eux, de plus riches des plus animés contre vous.

Doc. 27 : L’héroïsme révolutionnaire des esclaves

Les esclaves, qui étaient en insurrection depuis deux ans, instruits par les flammes et les cous de canon que le Cap était attaqué […] se présentent en armes devant vos délégués. Nous sommes nègres, français, leur dirent-ils ; nous allons combattre pour la France, mais pour récompense nous demandons la liberté. Ils ajoutèrent même les droits de l’homme […]. Les noirs sentaient leur force ; ils auraient pu même les tourner contre nous si on les avait indisposés.

Nous vous ferions observer que la liberté que vous nous avez accordée nous l’avions déjà !

Doc. 28 : Justification de la citoyenneté des femmes et de la liberté des enfants

Ce n’est pas la faute de nos femmes si elles n’ont pu s’armer pour la France. Peut-on les punir de la faiblesse de leur sexe ? Pourquoi les rendre plus malheureuses que nous ? Elles partagent nos sentiments pendant que nous nous battrons pour la France, elles les inspireront à nos enfants ; elles travailleront pour nourrir les guerriers. […]

Quant à nos enfants, c’est notre propriété, c’est notre sang. On n’a jamais pu disposer de notre postérité ; les garder dans l’esclavage, c’est nous condamner à un malheur éternel, c’est nous arracher la vie.

Doc. 29 : Contrepartie de l’abolition

Que les habitants de nos villes de commerce soient détrompés, que les commerçants se rassurent […], qu’ils lisent la proclamation du 29 août ; qu’ils apprennent que les noirs travailleront à les rembourser et d’autant plus volontiers qu’ils auront un salaire raisonnable à espérer pour leur travail, pour leurs sueurs.

Docs. 25-29 : Archives parlementaires, t. 84, p. 268-292, cité dans Serna 2014.

Doc. 30 : Le décret d’abolition de l’esclavage en France

Les Mortels sont égaux, ce n’est pas la naissance, c’est la seule vertu qui fait la différence.

La Convention nationale déclare que l’esclavage des Nègres dans toutes les colonies est aboli ; en conséquence, elle décrète que tous les Hommes, sans distinction de couleur, domiciliés dans les colonies, sont citoyens français et jouiront de tous les droits assurés par la Convention.

Décret de la Convention du 16 pluviôse an II.

Doc. 31 : Allégorie de la première abolition de l’esclavage

Estampe de 1794, BnF, Paris. Légende : manuel d’histoire Seconde, 2014.

Légende :
1 – Déclaration de 1789, en gras l’article premier.
2 – Texte du décret du 16 pluviôse an II abolissant l’esclavage.
3 – La Raison.
4 – Un Français de métropole partisan de la Révolution en costume de garde national et un Antillais.
5 – Corne d’abondance et palmier symbolisant la prospérité des Antilles.
6 – La Nature qui encourage la Raison car l’égalité est un droit naturel
7 – Démons de l’aristocratie, de l’injustice, de l’égoïsme et de l’insurrection chassés au loin.

4. Les conséquences de l’abolition

Doc. 32 :  Etendre l’abolition pour déstabiliser les autres puissances coloniales

Wir waren auf Jamaika angekommen, drei Emissäre des französischen Konvents, unsre Namen: Debuisson, Galloudec, Sasportas, unser Auftrag: ein Sklavenaufstand gegen die Herrschaft der britischen Krone im Namen der Republik Frankreich. Die das Mutterland der Revolution ist, der Schrecken der Throne, die Hoffnung der Armen. In der alle Menschen gleich sind unter dem Beil der Gerechtigkeit. Die kein Brot hat gegen den Hunger ihrer Vorstädte, aber Hände genug, die Brandfackel der Freiheit Gleichheit Brüderlichkeit in alle Länder zu tragen. Wir standen auf dem Platz am Hafen. In der Mitte des Platzes war ein Käfig aufgestellt. Wir hörten den Wind vom Meer, das harte Rauschen der Palmblätter, das Fegen der Palmwedel, mit denen die Negerinnen den Staub vom Platz kehrten, das Stöhnen des Sklaven im Käfig, die Brandung. Wir sahen die Brüste der Negerinnen, den blutig gestriemten Leib des Sklaven im Käfig, den Gouverneurspalast. Wir sagten: Das ist Jamaika, Schande der Antillen, Sklavenschiff in der Karibischen See.

Doc. 33 : Le discours contre-révolutionnaire

Debuisson – Nehmen wir unsre Masken vor. Ich bin der ich war: Debuisson, Sohn von Sklavenhaltern aus Jamaika, mit Erbrecht auf eine Plantage mit vierhundert Sklaven. Heimgekehrt in den Schoss der Familie, um sein Erbe anzutreten, aus dem verhangenen Himmel Europas, trüb vom Qualm der Brände und Blutdunst der neuen Philosophie, in die reine Luft der Kariben, nachdem die Schrecken der Revolution ihm die Augen geöffnet haben für ewige Wahrheit, dass alles Alte besser als alles Neue ist. […]

Galloudec – Ein Bauer aus der Bretagne, der die Revolution hassen gelernt hat im Blutregen der Guillotine, ich wollte, der Regen wäre reichlicher gefallen, und nicht nur auf Frankreich, treuer Diener des gnädigen Herrn Debuisson, und glaube an die heilige Ordnung der Monarchie und der Kirche. Ich hoffe, ich werde das nicht zu oft beten müssen.

Debuisson – Du bist zweimal aus der Rolle gefallen, Galloudec.

Galloudec – Ein Bauer aus der Bretagne, der die Revolution hassen gelernt hat im Blutregen der Guillotine. Treuer Diener des gnädigen Herrn Debuisson. Ich glaube an die heilige Ordnung der Monarchie und der Kirche. […]

Debuisson – Sasportas. Deine Maske.

Galloudec – Die sollte es nicht schwerfallen, den Sklaven zu spielen, Sasportas, in deiner schwarzen Haut.

Sasportas – Auf der Flucht vor der siegreichen schwarzen Revolution auf Haiti habe ich mich dem Herrn Debuisson angeschlossen, weil Gott mich für die Sklaverei geschaffen hat. Ich bin sein Sklave. Genügt das.

Docs. 32 et 33 : Müller, p.17 et 18-19.

Doc. 34 : Arguments pour la réintroduction de l’esclavage

Fabien et Beauvais sont tous deux des officiers français. Beauvais décide de rester sur l’île et de combattre la réintroduction de l’esclavage.

Fabien fuhr friedlicher fort: […] „Was hätte es auch den Negern benutzt, wenn sie gearbeitet hätten. Vielleicht wäre einem der Kamm angeschwollen, wie es auf Haiti passiert ist. Wenn sich die Leute einmal an Arbeit gewöhnt haben, dann kommt dabei manch ein komischer Ehrgeiz heraus. Auch man ein komischer Kopf, wie dieser Toussaint. […] Der Zucker ist unter Bonaparte genau derselbe, wie er unter Ludwig XVI. war, genau derselbe, Beauvais. Der Unterschied liegt n Frankreich, nicht im Zucker. Er hat unser Vaterland reich gemacht, beneidet und reich. Sehen Sie mal, nur Schwarze können Zuckerrohr schneiden. Darum gehören dieselben Gesetze zu denselben Schwarzen. Der Unterschied ist: Für wen sind es Sklaven? Es ist ein Unterschied, ob der Sklave das Zuckerrohr für Ludwig XVI. schneidet oder für Napoleon.“ – „Glauben Sie, dass es ein Unterschied für die Sklaven ist?“ – „Für die nicht, aber für uns. Mein Gott, das hysterische Gleichberechtigungsgebrüll, als sie sich vor der Nationalversammlung als Brüder umarmten und im ihre schwarzen Bäuche die Trikolore zu binden begannen. War damals nützlich. Der Engländer ist unser Feind. Wir müssen ihn schlagen. Wenn er mit seinen Sklaven mehr Zucker produzieren kann als wir mit unserem Gleichberechtigungsgebrüll, dann heißt das: Fertig mit dem Gefasel. Ihr Neger pariert! Drapiert euch weiter mit einer Trikolore, wenn es euch Spaß macht.“

Wiedereinführung der Sklaverei in Guadeloupe, dans Seghers, 1962, p. 94-95.

Erste Liebe – Die Sklaverei ist ein Naturgesetz, alt wie die Menschheit. Warum soll sie aufhören vor ihr. Sieh dir meine Sklaven an, und deine, unser Eigentum. Ihr Leben lang sind sie Tiere gewesen. Warum sollen sie Menschen sein, weil es in Frankreich auf einem Papier steht. Kaum lesbar vor so viel mehr Blut als für die Sklaverei geflossen ist hier auf deinem und meinem schönen Jamaika. Ich werde dir eine Geschichte erzählen: auf Barbados ist ein Plantagenbesitzer erschlagen worden zwei Monate nach der Aufhebung der Sklaverei. Sie kamen zu ihm, seine Befreiten. Sie gingen auf den Knien wie in der Kirche. Und weißt du was sie wollten. Zurück in die Geborgenheit der Sklaverei.

Müller, 1979, p. 22.

Doc. 35 : Le rétablissement officiel de l’esclavage

Une puissance rivale[1] de la France voyait, avec autant de peine que d’envie, la prospérité de nos colonies. Depuis longtemps, elle méditait leur perte ; ses efforts avaient été impuissants jusqu’au moment où la Révolution française lui fournit les moyens d’exécuter ses sinistres projets[2]. Des hommes adroits et perfides furent envoyés vers la capitale ; l’or fut répandu avec profusion […]. L’Assemblée nationale […] seconda puissamment leurs intentions : son décret, à ce sujet, fut la perte de nos colonies et de ces mêmes Noirs qu’elle croyait favoriser. Vous connaissez, par une fatale expérience, les maux qui ont été le résultat de cette prétendue liberté, indiscrètement accordée à des êtres sans civilisation, sans principes et sans patrie. Ce ne fut pas seulement la licence qui se mit à la place de la liberté, mais la révolte la plus affreuse et la plus sanglante[3]. La religion détruite, les habitations[4] incendiées, des flots de sang français répandus, tel fut le triste état dans lequel nos colonies furent réduites. Ces motifs ont déterminé le gouvernement à prendre [un] arrêt[5] d’après la connaissance acquise que l’humanité a toujours guidé les colons de la Guadeloupe et que chaque propriétaire est un père dont la sollicitude s’étend sur tous ceux qui l’entourent.

Déclaration d’Ernouf, gouverneur de la Guadeloupe, 14 mars 1803.

4 – L’indépendance d’Haïti

Doc. 36 : Les révoltes d’Haïti

Atlas des Amériques, Les Atlas de l’Histoire, n°376, mai 2012, p. 48.Atlas des Amériques, Les Atlas de l’Histoire, n°376, mai 2012, p. 48.

Doc. 37 : Le travail des Noirs après l’esclavage

„Was für ein Unsinn“, sagte ein anderer, der so dünn und so sprunghaft wie eine Spirale war, „damit wir wieder Schiffe von all dem Zeug, Kaffee, Kakao und Zucker, nach Frankreich schicken. Nicht als Sklaven, behaupten sie, wie bekämen dafür bezahlt. Wozu bezahlt? Für eine Uniform vielleicht? Mit Litzen und Knöpfen? Oder Geräte, damit ich noch mehr arbeiten muss?“ […] Manon erstickte vor Wut. Sie schrie: „Auf deinem eigenen Feld will man, dass du dein Lebtag arbeitest.“ […] Ismael sagte: „Ich war mein Lebtag Gärtner. Soll ich auf meine alten Tage Feldsklave werden, weil man mir eine Parzelle zuteilt. Nennt ihr das die Befreiung?“

Wiedereinführung der Sklaverei in Guadeloupe, dans Seghers 1962, p. 75.

Doc. 38 : La réaffirmation des dominations sociales

Debuisson – Ich will das alles nicht mehr wissen. Tausend Jahre ist gelacht worden über unsre drei Geliebten. In allen Gossen haben sie sich gewälzt, alle Rinnsteine der Welt sind sie hinabgeschwommen, geschleift durch alle Bordelle, unsre Hure die Freiheit, unsre Hure die Gleichheit, unsre Hure die Brüderlichkeit. Jetzt will ich sitzen wo gelacht wird, frei zu allem was mit schmeckt, gleich mit mir, mein und sonst niemandes Bruder. Dein Fell bleibt schwarz, Sasportas. Du, Galloudec, bleibst ein Bauer. Über euch wird gelacht. Mein Platz ist wo über euch gelacht wird. Ich lache über euch. Ich lache über den Neger; ich lache über den Bauern. Ich lache über den Neger, der sich weiß waschen will mit der Freiheit. Ich lache über den Stumpfsinn der Brüderlichkeit, der mich, Debuisson, Herrn über vierhundert Sklaven, ich brauche nur Ja zu sagen, Ja und Ja zur geheiligten Ordnung der Sklaverei, blind gemacht hat für dein, Sasportas, dreckige Sklavenfell, für deinen vierbeinigen Bauerntrott, Galloudec, das Joch im Necken, mit dem die Ochsen in der Furche gehen auf deinem Acker, der dir nicht gehört. Ich will mein Stück vom Kuchen der Welt. Ich werde mit mein Stück herabschneiden aus dem Hunger der Welt. Ihr, ihr habt kein Messer.

Müller, 1979, p. 39.

Conclusion : la mémoire de l’événement

Doc. 39 : Une place dans l’histoire officielle ?

Debuisson – Unsre Namen werden nicht in den Schulbüchern stehn, und dein Befreier von Haiti, wo jetzt die befreiten Neger auf die befreiten Mulatten einschlagen oder umgekehrt, wird lange warten müssen auf seinen Platz im Buch der Geschichte. Inzwischen wird Napoleon Frankreich in eine Kaserne verwandeln und Europa vielleicht in ein Schlachtfeld, der Handel blüht in jedem Fall, und der Frieden mit England wird nicht ausbleiben, was die Menschheit eint sind die Geschäfte. Die Revolution hat keine Heimat mehr, das ist nicht neu unter dieser Sonne, die eine Erde vielleicht nie bescheinen wird, die Sklaverei hat viele Gesichter, ihr letztes haben wir noch nicht gesehn […]

Müller, 1979, p. 36-37.

Doc. 40 : Portrait de Sanité Belair

Billet de 10 gourdes, Haiti, 2004.

[1] Le Royaume-Uni.

[2] Le Royaume-Uni est ici accusé d’avoir soutenu les abolitionnistes pour ruiner l’exploitation sucrière.

[3] Violences commises sur les partisans de l’esclavage par les Noirs, à partir de 1793.

[4] Plantations de canne à sucre.

[5] Arrêté consulaire du 16 juillet 1802, rétablissant l’esclavage en Guadeloupe, proclamé officiellement dans l’pile mai 1803.

Berlin et ses parcs, expression des natures urbaines.

par Jonathan Gaquère[1]

En organisant en 2007 la « longue journée de la nature urbaine » (« der lange Tag der Stadtnatur ») qui rassemble désormais chaque année plusieurs dizaines de milliers de personnes à travers près de 500 rassemblements, la ville de Berlin confirma son rôle de ville pionnière dans la conception de nouvelles relations entre les espaces urbains et la nature.

C’est que Berlin est à cet égard une ville singulière. Cette singularité ne doit cependant pas faire oublier que les espaces de nature – loin du discours consensuel véhiculé par la communication publique – sont des espaces de revendication et d’affirmation sociale au sein des agglomérations contemporaines. Cet article a pour objectif de mettre en avant le rôle des parcs urbains dans les dynamiques territoriales intra-urbaines.

Il s’agira d’expliquer dans un premier temps en quoi Berlin peut être qualifiée de ville de la nature urbaine. L’analyse des parcs urbains amène néanmoins dans un second temps à distinguer plusieurs natures urbaines au sein de l’agglomération berlinoise.

1 – Berlin, ville de la nature urbaine 

Un contexte historique favorable aux espaces de nature intra-urbains

L’importance des espaces de nature au sein de l’agglomération berlinoise s’explique en premier lieu par la croissance urbaine tardive de Berlin. Peuplée de seulement une dizaine de milliers d’habitants à l’arrivée des huguenots français à la fin du XVIIe siècle, Berlin s’est avant tout développée au XIXe siècle avec l’industrialisation, puis avec son statut de capitale de l’Empire allemand fondé en 1871. La densification du centre historique, abrité derrière les remparts, fut donc limitée, comparativement à d’autres villes comme Paris. La rapidité du développement industriel explique également la rapide expansion de l’agglomération berlinoise qui ne comptait qu’un million d’habitants vers 1880 mais près de 4,5 millions au début de la Seconde Guerre mondiale. Les principes d’une ambitieuse fusion communale furent été arrêtés dès avant le premier conflit mondial et présentés lors de l’exposition internationale d’urbanisme du Grand-Berlin en 1910, mais elle ne fut réalisée qu’en 1920 (Groß-Berlin-Gesetz).Au total, ce ne sont pas moins de sept villes, cinquante-neuf Landgemeinde (l’équivalent des communes rurales) et vingt-sept Gutsbezirke (circonscriptions) qui fusionnèrent. De vastes espaces non urbanisés furent donc intégrés au sein du Grand-Berlin. Des réserves foncières avaient déjà été constituées au cours de la Première Guerre mondiale afin de pouvoir répondre aux objectifs du développement urbain, par exemple au sud-est de Berlin avec la forêt de Köpenick.

La Seconde Guerre mondiale et surtout la guerre froide renforcèrent la présence des espaces de nature dans Berlin. Le second conflit mondial avait tout d’abord amené les Berlinois, à l’instar des habitants des autres villes allemandes, à constituer des Trümmerberg (sorte de collines artificielles composées à partir de 1945 de gravats provenant des immeubles détruits par les bombardements). Des parcs publics furent ainsi créés sur ces décombres : Volkspark Friedrichshain, Volkspark Prenzlauerberg, Volkspark Humboldthain.

Mais ce sont avant tout les conséquences urbanistiques de la bipartition de Berlin qui conditionnèrent l’émergence de vastes espaces de nature au sein de l’agglomération[2] (J. Lachmund, 2013). La ville de Berlin-Ouest fut en effet pendant plus de 40 ans privée d’un accès direct à la campagne. Combinée au manque d’attractivité et au dépeuplement de la ville dûs à l’isolement de Berlin-Ouest, cette contrainte explique la volonté de ne pas densifier la ville de Berlin-Ouest. La forêt de Grünewald fut ainsi préservée de l’urbanisation et du développement industriel. De surcroît, la construction du Mur de Berlin (1961) et son ouverture (1989) provoquèrent l’apparition de friches urbaines et industrielles. Citons notamment celles de Gleisdreieck et du Südgelände. Au sein de ces friches urbaines, se développa de manière spontanée une diversité biologique tout à fait étonnante.

A ces facteurs historiques, il convient d’ajouter le rôle joué par certains acteurs politiques et universitaires.

Le rôle des acteurs

            La conception des parcs publics à Berlin fut au XIXe siècle relativement proche de celle des autres agglomérations européennes. Suite aux épidémies de choléra, les agglomérations de Londres et de Paris avaient favorisé la multiplication des espaces verts dans une approche hygiéniste. Mais « c’est à Berlin que la notion de système d’aération aux quatre points cardinaux de l’agglomération est le plus explicitement mis en œuvre par la municipalité socio-démocrate de Karl-Theodor Seydel ; pour compléter la Friedrichshain (réaménagée en 1875) à l’est et le Parc de Treptow au sud (réaménagé en 1875), la Humboldthain au nord est acquise et aménagée par la ville (1870-1873), le Tiergarten formant le maillon manquant à l’ouest »[3] . Ces réalisations s’accompagnèrent à Berlin d’une tendance sociale plus marquée au début du XXème siècle, notamment sous l’influence de Martin Wagner, architecte et urbaniste de l’Université technique de Berlin, qui publia en 1915 une thèse intitulée Die sanitäre Grün der Städte: ein Beitrag zur Freiflächentheorie (Les espaces verts sanitaires des villes, une contribution à la théorie des espaces libres).

C’est enfin au sein de l’Université technique (Technische Universität) que se développa un milieu scientifique capable de concevoir une autre forme de rapport à la nature, de théoriser puis de mettre en œuvre au sein de l’urbanisme berlinois le concept de nature urbaine. Jens Lachmund, dans son ouvrage Greening Berlin déjà évoqué, insiste particulièrement sur ce point pour expliquer l’exception berlinoise. Herbert Sukopp, écologue à l’Université libre de Berlin (Freie Universität Berlin) se spécialisa en effet dans les années 1970 dans l’étude de ces friches. Ces recherches furent reprises et théorisées sous le concept de « nature urbaine » (Stadtnatur) par Ingo Kowarik (I. Kowarik, 1992). Ce dernier distingue quatre types de nature au sein des espaces urbains (cf. figure n°1). La première nature, la nature préhistorique, correspond aux héritages biophysiques qui ont précédé l’implantation humaine. La seconde renvoie à la nature néolithique au sein de laquelle les espaces agricoles tenaient une grande place. La troisième est celle des jardins de l’époque moderne où la mise en valeur des éléments végétaux n’a pas pour but la production alimentaire mais l’élaboration… d’un cadre prestigieux. C’est la nature des jardins princiers…

Figure n°1 : Les quatre natures selon Ingo Kowarik  
Source : Kowarik I., Bartz R., Brenck M., 2016, Ökosystemleitungen in der Stadt. Gesundheit schützen und Lebensqualität erhöhen, Berlin.    

Enfin, la quatrième nature est constituée de plantes ou d’animaux allochtones qui se développent dans les espaces urbains de manière « sauvage » (wild) c’est-à-dire spontanée sans intervention humaine. C’est notamment le cas dans les friches urbaines et industrielles précédemment évoquées. Ces quatre natures ont des caractéristiques écologiques différentes. Les deux premières natures sont dominées par des plantes autochtones (issues de l’écosystème local) tandis que la proportion des plantes allochtones (provenant d’autres écosystèmes) augmente pour les deux dernières natures. Ainsi, en combinant ces quatre natures au sein des espaces urbains, la biodiversité se trouve accrue par l’association de plantes autochtones et allochtones.

Les recherches d’H. Sukopp sur l’écologie urbaine et la Stadtnatur d’I. Kowarik furent précocement transmises et diffusées à Berlin. Jens Lachmund démontre comment, en près d’un demi-siècle, furent formées au sein de l’Université technique plusieurs générations d’étudiants. Ainsi, au centre du triangle de l’urbanisme berlinois formé par des scientifiques, des fonctionnaires et cadres territoriaux et des responsables d’associations environnementales (cf. figure n°2), se situe l’Université technique qui servit en quelque sorte d’incubateur pour l’émergence et le développement de la Stadtnatur.

Si le contexte historique de la guerre froide a contribué à singulariser Berlin dans son rapport aux espaces de nature, c’est avant tout la valorisation de cette singularité au sein des universités berlinoises qui permit le développement d’une nature urbaine spécifique à Berlin. Cette nature urbaine se révèle toutefois très contrastée au sein des parcs berlinois.

2 – De la nature urbaine aux natures citadines

Lorsque F. Debié étudia au début des années 1990 les parcs berlinois, il s’était « limité à l’étude des parcs et jardins du centre des capitales européennes » [4] car ceux-ci « ont servi de modèles aux aménagements de la banlieue plus lointaine » [5]. Ce constat, si tant est qu’il fût valable au début des années 1990, ne l’est plus actuellement. La comparaison entre le parc de l’hypercentre de Berlin – le Tiergarten – et d’autres parcs plus récemment aménagés – le parc Gleisdreieck et le Tempelhofer Feld – montre la différenciation croissante des parcs urbains, et, par conséquent, le rôle croissant de ces parcs dans les dynamiques territoriales des agglomérations contemporaines.

 « A chacun sa nature »

            Avant de comparer différents parcs urbains de Berlin, il importe de rappeler les récents apports de l’anthropologie et de la sociologie. Philippe Descola, anthropologue, a démontré dans son ouvrage de référence Par-delà nature et culture [6], la nécessité de dépasser le clivage nature/société ou nature/culture hérité du naturalisme. Ce dernier est spécifique à l’Occident et fut marqué par l’héritage de la philosophie grecque, mais surtout du christianisme et des Lumières. Dans la Genèse, Dieu place les hommes au-dessus de la nature et leur donne une mission : « Soyez féconds, multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-là. Dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tout animal qui rampe sur la terre » (Genèse, 1:28).  Et Descartes d’affirmer que le but de la science est de « se rendre maîtres et possesseurs de la nature » (Discours de la méthode, 1637).

            Bruno Latour[7] reprend cette critique du naturalisme mais la complète en appelant à concevoir un plurinaturalisme qui renoncerait au mononaturalisme, à savoir à l’usage de « la » nature au singulier. Selon lui, puisque la nature des uns n’est pas la nature des autres, l’emploi du singulier pour qualifier « la » nature est une ineptie. C’est en prenant appui sur ces réflexions que nous distinguerons au sein de la nature urbaine d’I. Kowarik, une nature[8] patrimoniale – celle du Tiergarten – et une nature citadine – celle du parc Gleisdreieck et du Tempelhofer Feld.

Le Tiergarten : une nature patrimoniale

            Fortement détruit et déboisé après la Seconde Guerre mondiale et le blocus de Berlin, le Tiergarten fut entièrement réaménagé à partir de 1949. Souhaitant rompre avec l’héritage monarchique des Hohenzollern, les Alliés déplacèrent les nombreuses statues installées en hommage à la dynastie prussienne. Les Britanniques, en charge du Tiergarten puisqu’il était situé au sein de leur zone d’occupation, s’opposèrent également à la restauration des allées baroques du parc, jugés synonymes de l’ordre monarchique Hohenzollern. Ils favorisèrent dans les années 1950 des éléments paysagers typiques des jardins anglais alternant chemins sinueux, paysages de clairières et d’eaux (figures n°3 et 4). Dans les années 1970, des projets d’aménagements d’espaces sportifs existèrent pour le Tiergarten. A l’instar de Central Park au sein duquel des terrains de base-ball ont été créés, des terrains de tennis et des pistes de patinage devaient y voir le jour.

Figure n°3 : le plan de la Zeltenplatz en 1795 Source : Landesdenkmalamt (Hrsg.), 1993, Parkpflegewerk, Büro Wörner.  
Figure n°4 : le plan de la Zeltenplatz en 1984 Source : Landesdenkmalamt (Hrsg.), 1993, Parkpflegewerk, Büro Wörner.  

            Mais le début des années 1980 fut marqué par le tournant patrimonial que décida Klaus von Krosigk, directeur de l’aménagement des jardins historiques de Berlin, nouvellement nommé, si bien que ces projets d’espaces récréatifs ne virent pas le jour. L’île de la reine Louise – la personnalité la plus appréciée de l’histoire prussienne – fut restaurée et le Tiergarten retrouva, à partir de 1984, sa configuration baroque comme le montre la figure n°5 où les allées rectilignes et monospécifiques (une seule essence d’arbres) sont clairement observables.

Figure n°5 : les allées rectilignes de la Zeltenplatz et le retour du baroque Source : http://www.berlin.de/senuvk/berlin_tipps/grosser_tiergarten/de/karte date de dernière consultation/  

 Le bassin de Vénus, les statues de Goethe, Lessing, Wagner, Mozart, Beethoven et Haydn furent également restaurés. Ainsi, c’est sous le signe du patrimoine que le Tiergarten fut réaménagé. Alors que, dans les années 1970, le souci de proposer un espace récréatif et des usages sportifs était en train de s’affirmer, c’est la conception d’une nature patrimoniale qui s’est imposée. Le tournant patrimonial s’inscrit dans le cadre du nouveau regard porté par les sociétés occidentales sur leurs monuments et sites historiques. La France connut la même évolution avec les lois Malraux de 1964 qui permirent dans les années 1970 et 1980 la restauration des centres historiques.

Depuis ce tournant patrimonial des années 1980, le Tiergarten s’est singularisé au sein de l’agglomération berlinoise. La fin de la guerre froide a amené au centre de Berlin une fréquentation touristique croissante, si bien que le Tiergarten, qui jouxte la Porte de Brandebourg, le Reichstag et la Potsdamer Platz, est de plus en plus investi par les touristes. C’est donc dans ce parc que la République fédérale décida de construire les lieux de la « mémoire négative » (Marcel Tambarin) de la nation allemande. A proximité du Mémorial de la Shoah, furent construits le Mémorial aux homosexuels persécutés et le Mémorial aux Roms européens assassinés pendant le nazisme (figure n°6).

Figure n°6 : les lieux de la mémoire négative à l’est du Tiergarten. Réalisation: J Gaquère

Des allées rectilignes de la Zeltenplatz aux nouveaux lieux de la « mémoire négative » en passant par l’île de la reine Louise, le Tiergarten est devenu un espace de nature  – et donc aussi de culture – au sein duquel la fonction patrimoniale prédomine. Les terrains de tennis semblent désormais très éloignés… Correspondant à « ce qui est censé mériter d’être transmis du passé pour trouver une valeur dans le présent »[9] (O. Lazzarotti), le patrimoine qu’il soit national, prussien ou berlinois, a effectivement investi, non seulement le Tiergarten, mais également le centre de Berlin, nouvelle capitale de l’Allemagne réunifiée depuis 1990. Le Tiergarten est donc pris dans les dynamiques territoriales du quartier dans lequel il s’inscrit. Et force est de constater que la métropolisation a accentué la différenciation intra-urbaine. En effet, la nature aménagée au sein du Tiergarten diffère dorénavant fortement de celle aménagée au sein des nouveaux parcs de Berlin. La comparaison avec le parc Gleisdreieck témoigne de ces différences.

Le parc Gleisdreieck : la lente émergence d’une nature citadine

L’histoire du parc Gleisdreieck est une histoire mouvementée. Située dans la partie ouest de Berlin mais permettant de desservir la partie est, l’ancienne gare d’Anhalt fut confiée en 1945 au commandement soviétique afin d’optimiser le réseau de transport ferroviaire. Le blocus de Berlin (1948-1949) et la réaction occidentale qui suivit mirent fin au trafic vers et depuis la gare d’Anhalt, si bien que cet espace ne fut plus utilisé. Une nature du quatrième type (allochtone) – selon la théorie d’I. Kowarik – émergea donc sur cette friche logistique et représenta un apport conséquent de biodiversité. Or, une autoroute, la Westtangente, devait être construite au milieu des années 1970 pour désenclaver le centre de Berlin-Ouest. En réaction à ce projet, une initiative citoyenne (Bürgerinitiative Westtangente) fut initiée et, après quarante ans de contestation puis de concertation, le parc Gleisdreieck ouvrit ses portes en 2013 .

Le parc Gleisdreieck est en effet issu d’une mobilisation exceptionnelle des habitants qui a conduit à une grande diversité des usages au sein du parc. Par exemple, le Bienengärtchen (jardinet des abeilles) propose d’initier tous ceux qui le souhaitent à l’apiculture[10]. L’espace le plus intéressant est sans doute le Naturerfahrungsraum (l’espace d’expérience de la nature) situé à l’est du parc Gleisdreieck. Son objectif est de permettre aux enfants de développer dans un cadre ludique leurs relations avec des éléments biophysiques variés. La topographie de cet espace varie en fonction des souhaits exprimés par les habitants. Les enfants peuvent y construire des cabanes avec des branches entreposées à cet effet, y jouer avec des cailloux, simuler un torrent, faire des ponts… Les figures n°7 et 8 permettent de visualiser cet espace naturel récréatif étonnant, issu de la concertation avec les usagers. La relation spécifique que la société allemande entretient avec les éléments biophysiques, au travers par exemple des écoles Steiner, est ici observable. A travers cet espace d’expérience de la nature, les enfants – mais aussi les parents – sont censés développer leurs facultés intellectuelles individuelles et collectives. Cet espace d’expérience de la nature est un espace de forte mixité sociale et culturelle favorisant « l’auto-visibilité de la ville  » (J. Lévy).

Figure n°7 : le Naturerfahrungsraum 

Source: https://gruen-berlin.de/gleisdreieck/angebote/der-naturerfahrungsraum (07/06/2018)

Figure n°8 : le Naturerfahrungsraum .

Source: https://gruen-berlin.de/gleisdreieck/angebote/der-naturerfahrungsraum (07/06/2018)

Le jardin interculturel « Parfum de roses » (Interkulturelle Garten Rosenduft) est un autre exemple d’espace issu d’initiatives individuelles (figures n°9 et 10). Géré par l’association Südost Europa Kultur (littéralement « Culture Europe du Sud ») fondée  en 1991, ce jardin fut initialement entretenu par huit femmes immigrées d’ex-Yougoslavie. Traumatisées par la guerre, certaines femmes n’osaient sortir dans les espaces publics[11]. Ce jardin a donc permis de renforcer les liens sociaux auprès de populations fragilisées, en dépassant parfois des antagonismes nationalistes exacerbés pendant la crise yougoslave. Begzada Alatovic, responsable du jardin interculturel, souligne cette dimension psychologique fondamentale : « Certaines étaient auparavant dans des camps, avaient traversé des périodes difficiles et n’osaient même pas prendre le métro ici à Berlin. Maintenant, elles sont sorties de leurs appartements et ont trouvé une occupation en dehors de leur famille »[12]. Ce témoignage atteste que toute intégration sociale est avant tout une intégration spatiale. 

Figure n°9 : le jardin interculturel « Parfum de roses »

Source: https://gruen-berlin.de/gleisdreieck/angebote/der-interkulturelle-garten-rosenduft (07/06/2018)

Figure n°10 : le jardin interculturel « Parfum de roses »

Source: https://gruen-berlin.de/gleisdreieck/angebote/der-interkulturelle-garten-rosenduft (07/06/2018)

Ces exemples montrent donc, à la différence du Tiergarten, la participation active de citoyens et d’usagers dans l’aménagement du parc. Le maître d’ouvrage Grün Berlin, représentant ici le Sénat de Berlin et les pouvoirs publics, n’est pas le seul acteur de l’aménagement. Regina Krokowki, animatrice pour Grün Berlin du groupe de travail de la partie orientale du parc (située sur le district de Friedrichshain-Kreuzberg) reconnait d’ailleurs avoir sous-estimé le besoin d’initiatives et d’auto-gestion dans l’aménagement de ce dernier[13]. Cette tendance n’est pas spécifique au parc Gleisdreieck.

 Le jardin partagé Allmende Kontor (« Comptoir général ») du Tempelhofer Feld (parc urbain aménagé sur l’emplacement d’un ancien aéroport) est en effet devenu le symbole d’une nature facilitant les interactions sociales et œuvrant pour le vivre-ensemble. Gerda Münnich, responsable de l’association Allmende-Kontor, explique le rôle de cet espace dans les dynamiques sociales de Berlin :

Le choix des personnes autorisées à s’installer ici est un choix compliqué. Nous n’avons pas de places pour tout le monde. Nous avons une liste d’attente de plus de 200 personnes pour déjà 700 inscrits. Au début, on nous reprochait d’être un jardin russe parce que nous avions beaucoup de Russes. Mais nous sommes un jardin interculturel. Nous privilégions donc – et c’est d’ailleurs pour cela que nous avons été choisis – les personnes d’origine étrangère. Et donc oui, nous avons de plus en plus de Turcs. Mais c’est assez récent car, au début, les hommes turcs se méfiaient… Ils voulaient contrôler leurs femmes. Il a fallu un certain temps pour que les femmes turques puissent venir seules ici sans être accompagnées. Aujourd’hui, elles peuvent aller seules au marché, à l’école… et ici ![14]

Le Tempelhofer Feld, contrairement au Tiergarten, favorise donc les interactions sociales et permet d’intégrer de la ville dans l’urbain. Et Christoph Schmidt, président du comité-directeur de la fondation Grün Berlin, souligne cette nouvelle tendance des espaces publics et des parcs :

Le parc Gleisdreieck représente la société urbaine. A mesure que la ville change, l’avenir du parc change. Les citoyens se réapproprient les espaces libres. Cette prise de conscience n’existait pas il y a 15 ans (…). La société urbaine change, dans les 10-15 dernières années l’espace public a acquis une importance croissante. Des espaces publics libres sont dorénavant utilisés de manière très différente. Cela nous a appris que nous devons être ouverts pour les exigences futures. C’est pourquoi il y a l’aménagement dynamique du parc. Nous attendons d’observer les évolutions dans l’utilisation actuelle du parc. Ainsi nous sommes bien préparés pour l’avenir et pour les changements d’usages potentiels. A cela s’ajoute un conseil consultatif du parc constitué de différents groupes d’utilisateurs et chargé de proposer de nouveaux aménagements[15] .

L’aménagement du parc Gleisdreieck ne saurait donc être finalisé puisqu’il est prévu que celui-ci soit constamment adapté aux demandes et aux besoins des utilisateurs. En facilitant les interactions sociale au sein des espaces urbains, en favorisant « l’ auto-visibilité de la société urbaine » (J. Lévy), c’est un « droit à la ville » (H. Lefebvre) qui est proposé par ces espaces de nature. Henri Lefebvre avait en 1967 pointé le risque d’éclatement social au sein des agglomérations urbaines et regrettait que ces dernières soient de moins en moins animées par la vie urbaine et par ce que Paul Claval désigna comme un « lieu de maximalisation des interactions sociales »[16]. L’exemple du jardin partagé Allmende Kontor et du parc Gleisdreieck témoigne du rôle que les parcs peuvent jouer afin de permettre ce « droit à la ville » et ce « droit à l’individualisation dans la socialisation »[17]. En permettant le développement des interactions sociales, ils favorisent la citadinité et c’est cette nature citadine du parc Gleisdreieck qui a enthousiasmé Marc Augé : « Progressivement, les anciennes oppositions (centre/périphérie, ville/campagne) disparaissent ou évoluent vers de nouveaux rapports. Le monde est de plus en plus urbain, mais la ville change : elle s’étend et devient en même temps plurielle. Berlin a assumé en la matière un rôle d’avant-garde avec la prise en compte de la volonté déclarée de ses habitants de s’approprier les espaces, ces derniers devenant, d’après les dynamiques actuelles, des espaces ouverts. A cet égard, le parc Gleisdreieck revêt un caractère symbolique tant au niveau de la planification urbaine qu’au niveau démocratique »[18].

Si Berlin, réputée « ville verte », fait figure de pionnière dans la valorisation des espaces de nature, la comparaison entre le parc Tiergarten et le parc Gleisdreieck a permis de montrer la diversité des aménagements possibles au sein des parcs urbains. A la nature patrimoniale du Tiergarten, orchestrée par les pouvoirs publics nationaux et locaux et valorisée par les flux touristiques, s’oppose une nature citadine, aménagée en concertation avec les usagers et permettant le « droit à la ville ». L’hypercentre de la métropole berlinoise s’oppose ici aux espaces du reste de l’agglomération. Les espaces de nature que sont les parcs urbains témoignent donc des dynamiques intraurbaines.

Bibliographie :

Franck Debié, Jardins de capitales : une géographie des parcs et jardins publics de Paris, Londres, Vienne et Berlin, Paris, Éditions du CNRS, 192, 295 p.

Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005, 623 p.

Ingo Kowarik, « Das Besondere der städtischen Vegetation», Schriftenreihe des Deutschen Rates für Landespflege, n° 61, 1992, pp.33-47.

Jens Lachmund, Greening Berlin: The Co-Production of Science, Politics, and Urban Nature, Cambridge, MIT Press, 2013, 320 p.

Bruno Latour, Les Politiques de la nature. Comment faire entrer les sciences en démocratie ?, Paris, La découverte, 2005, 383 p.

Henri Lefebvre, Le Droit à la ville, Paris, Anthropos, 2009 [1967], 135 p.


[1] Jonathan Gaquère a soutenu en mars 2018 sa thèse intitulée Les natures du Tiergarten de Berlin», sous la direction de P. Picouet et de J. Vaillant. Cet article reprend certains points de ses recherches.

[2] Jens Lachmund, Greening Berlin: The Co-Production of Science, Politics, and Urban Nature, Cambridge, MIT Press, 2013, 320 p.

[3] Franck Debié, Jardins de capitales : une géographie des parcs et jardins publics de Paris, Londres, Vienne et Berlin, Paris, Éditions du CNRS, 1992, p. 179.

[4] Franck Debié F., Jardins de capitales, op. cit.,1992, p. 20.

[5] . Ibid.

[6] Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005, 623 p.

[7] Bruno Latour, Les Politiques de la nature. Comment faire entrer les sciences en démocratie ?, Paris, La découverte, 2005, 383 p.

[8] Le concept de nature prend ici le sens d’un aménagement d’éléments biophysiques.

[9] Olivier Lazzarotti, « Patrimoine » dans Lévy J., Lussault M. (dir.), 2013, Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin, 2013, p. 748 

[11] Senatsverwaltung für Stadtentwicklung und Umwelt (Département du Sénat pour le développement urbain et l’environnement), 2013, Der Park am Gleidreieck. Idee, Geschichte, Entwicklung und Umsetzung (le parc à Gleisdreieck. Idée, histoire, développement et réalisation), Medialis Offsetdruck, p. 82.

[12] Ibid., p. 85

[13] Ibid., p. 75

[14] Entretien réalisé le 20 juillet 2016.

[15] Lichtenstein A, Mamelli F., 2015, Gleisdreick. Parklife Berlin, Bielefeld, p. 134-135.

[16] P. Claval, 1981, La Logique des villes, Paris, Broché, 633 p.

[17] Lefebvre H., 2009 [1967], Le droit à la ville, Paris, Anthropos, p. 125.

[18] Augé M., (préface), dans Lichtenstein A, Mamelli F., 2015, Gleisdreick. Parklife Berlin, Bielefeld, p. 8.


Le vrai bilinguisme ? – L’usage des langues dans les cours bilingues en Allemagne. (l’exemple de l’enseignement de l’histoire en Rhénanie-du-Nord-Westphalie)

Par Florian Niehaus[1]

Le système scolaire allemand est assez complexe : les 16 Bundesländer décident de façon plus ou moins autonome dans le domaine de l’éducation. C’est pour cela qu’il faudrait dire qu’il n’y a pas un seul, mais plutôt 16 systèmes scolaires différents en Allemagne, empreints de convictions politiques, de traditions et de tendances actuelles très variées.

Que les Länder, réunis au sein de la Kultusministerkonferenz (conférence fédérale des ministres régionaux chargés de l’éducation et des écoles, KMK), aient pris ensemble en 2013 une décision stipulant les principes et les perspectives de l’enseignement bilingue en est d’autant plus remarquable. C’est aussi une bonne chose, car il n’existait (et n’existe) aucune unanimité quant au rôle des deux langues et à leur relation réciproque dans ce format particulier.

 « Les débuts de l’enseignement bilingue dans la République fédérale tirent leur origine de la réconciliation franco-allemande après la Seconde Guerre mondiale, réconciliation qui s’est manifestée par le traité de l’Elysée de 1963 » (KMK 2013, p. 3). Cela implique deux choses. Premièrement, c’est pour des motifs politiques que cet enseignement particulier est né, et non suite à des théories neurolinguistiques ou à des réflexions didactiques. Deuxièmement, c’était la langue française (et non une autre langue) qui jouait un rôle pionnier dans ce domaine, clairement dominé aujourd’hui, à regarder leurs chiffres sans cesse croissants, par des projets anglo-allemands.

1. Le paysage bilingue : organisation et standardisation

Donnons quelques éléments concrets. Parmi plus de 3 100 Gymnasien (lycées, à partir de 10 ans) allemands, 90 environ disposent d’une section bilingue franco-allemande (soit 3% du total). Toutefois, tous ne permettent pas l’obtention de l’Abibac. Ce chiffre reste relativement constant, même s’il est plutôt en recul à long terme. Les écoles de ce type se sont associées dans un organisme assez souple, Libingua ou « Fédération des lycées à section bilingue franco-allemande en Allemagne », pour un échange professionnel régulier.

Les exemples concrets qui seront développés dans cet article concerneront toujours la Rhénanie-du-Nord-Westphalie (NRW). Ce Land, le plus peuplé d’Allemagne (avec par exemple les agglomérations de Cologne et de Düsseldorf, le bassin de la Ruhr…), représente – avec les régions frontalières de la Sarre, de la Rhénanie-Palatinat et du Bade-Wurtemberg – un des centres de gravité géographiques de l’enseignement bilingue franco-allemand. Quelques-uns des seize Gymnasien dotés d’une section bilingue franco-allemande qui se trouvent en NRW appartiennent à la génération fondatrice de « l’idée bilingue ». De plus, le ministère de l’Education à Düsseldorf s’efforce, depuis longtemps déjà, de soutenir les écoles pour les questions didactiques et de créer un cadre normatif. Ces impulsions stimulent régulièrement les débats dans le réseau professionnel par le biais de Libingua, d’ailleurs toujours coordonnée à Cologne.

Il faut bien constater cependant que, malgré tous les efforts de coordination et de standardisation, chaque consensus dans ce domaine reste de nature assez générale. Aussi bien les écoles que les enseignants restent très libres quant à l’interprétation, mais surtout à l’application pratique, de ces prescriptions. Ainsi ne peut-on pas parler d’une forme normalisée de l’enseignement bilingue – ni dans un seul Land, ni, a fortiori, dans l’ensemble de l’Allemagne.

2. Quelques principes théoriques

Aujourd’hui, il y a un consensus plus ou moins intangible sur l’essence de l’enseignement bilingue. En l’occurrence, il s’agit d’un enseignement dans une DNL qui se sert de la langue étrangère (L2, ici le français) en tant que langue de travail. Cela ne touche pas la priorité absolue de la transmission des compétences spécifiques (en histoire, en géographie…). Autrement dit, l’enseignement bilingue ne se considère pas comme une discipline auxiliaire de la formation linguistique. Néanmoins, la réflexion sur la langue, ou plutôt les langues, est une tâche majeure de ce genre de cours.

Il y a un deuxième consensus sur l’interprétation de l’expression « bilinguisme » (Zweisprachigkeit), même s’il existe nombre d’approches pratiques – pour ne pas dire idéologies. A première vue, il semble banal de constater que le mot « bilingue » implique l’usage de deuxlangues. Mais on a longtemps supposé que les élèves maîtrisaient de toute façon la langue maternelle (c’est-à-dire la langue primaire ou L1, car ce n’est pas la langue maternelle de tous les élèves), et que par conséquent il n’était pas nécessaire d’y réfléchir ou de l’utiliser dans le cours bilingue. Ce faisant, on ignorait le fait qu’il s’agit d’un langage technique, dont l’acquisition progressive est nécessaire même dans la L1.

Par ailleurs, l’enseignement bilingue, et ce dès ses débuts, ne s’est pas uniquement focalisé sur le développement linguistique, mais a aussi promu l’interculturalité ou, comme on le dit aujourd’hui, l’acquisition de compétences interculturelles (ou transculturelles). Il ne faut pas être philosophe du langage pour saisir le rapport direct entre la composante linguistique et l’aspect culturel. La langue est le porteur des « scripts culturels » (ensemble des associations liées à une certaine expression dans une certaine culture) : cela signifie que la culture se manifeste dans le langage, ou bien même ne se définit que par celui-ci. C’est probablement pour cette raison que le noyau de l’enseignement bilingue est traditionnellement constitué des matières d’imprégnation linguistique, et ce dans le domaine des sciences humaines, à savoir l’histoire, la géographie (deux matières séparées en Allemagne) et les sciences politiques. On peut ainsi supposer que chaque école à section bilingue offre des cours dans ces matières alors que l’enseignement bilingue dans les sciences naturelles ne s’est ajouté que plus tard au programme bilingue.

On peut ainsi conclure que les deux principaux buts de l’enseignement bilingue, buts étrangers à l’enseignement régulier, sont :

  1. La maîtrise des compétences spécifiques dans les deux langues, ou plutôt systèmes mentaux, nommé « doppelte Sachfachliteralität » (double compétence linguistique disciplinaire) ;
  2. La promotion des compétences interculturelles quant aux deux espaces culturels (cependant, nulle part ces termes ne sont définis. Ni l’espace culturel, ni les compétences, ne sont jamais explicités).

C’est au fond aux écoles de décider d’offrir ou non un enseignement bilingue, et, si elles le font, de choisir sa forme. Des modules limités dans le temps en sont la forme minimaliste et à peine réglementée. Au sein des écoles offrant un enseignement bilingue institutionnalisé, les cours bilingues en DNL font toujours partie d’un concept intégral : on tente de les harmoniser avec l’enseignement de la L2, auquel on concède des heures supplémentaires, surtout dans les premières années scolaires (5e et 6e classes). Il faut savoir que les enfants quittent les écoles primaires avec des connaissances fondamentales en anglais (à l’exception de quelques régions frontalières, comme par exemple le long de la frontière franco-allemande, où l’on apprend le français). L’apprentissage de la première langue étrangère commence officiellement pour ces élèves lorsqu’ils rejoignent, à l’âge de dix ans, les établissements d’enseignement secondaire. Dans les Gymnasien du type bilingue français-allemand, cette première langue étrangère est évidemment le français (l’anglais à partir de l’année suivante) dont l’enseignement bénéficie d’une ou deux heures supplémentaires par semaine. L’enseignement bilingue en DNL ne commence généralement que deux ans plus tard, souvent d’abord dans une seule matière, ensuite dans plusieurs (cf. fig. 1).

Les sections bilingues ne sont donc pas des classes dans lesquelles l’enseignement bilingue fait partie de l’emploi du temps dès le début et dans la plupart des matières (à la différence des modèles immersifs comme en Belgique). Toutefois, il ne s’agit pas non plus de classes qui suivent « seulement » quelques cours en L2. Le but est au contraire, dès le départ, l’interculturalité, que l’on systématise par la coordination systématique des cours bilingues avec les cours de langue, par leur intégration dans des projets scolaires comme des programmes d’échange et par la préparation ciblée aux diplômes bilingues.

3. Conséquences en pratique : l’enseignement de l’histoire en NRW

Il est bien évident que l’apprentissage de faits historiques ou l’accumulation de connaissances historiques ne peut pas être le seul, ni même le principal but de l’enseignement de l’histoire. Il y a au moins deux objections. D’une part, une compréhension constructiviste de la discipline, selon laquelle une histoire objective ne peut pas exister, car elle ne se construit que par l’acte de la narration. Ainsi faudrait-il plutôt parler « des histoires ». D’autre part, la concentration sur les connaissances est incompatible avec l’orientation vers les compétences, l’idée essentielle de tous les programmes scolaires depuis le milieu des années 2000 en Allemagne. Depuis lors, l’enseignement ne sert, officiellement, qu’à encourager des facultés spécifiques, tandis que le savoir technique n’est plus, en théorie, qu’un outil à leur service. Toutefois, on n’a nulle part renoncé à des sujets obligatoires qui correspondent toujours, grosso modo, au canon classique et mettent clairement l’accent sur l’histoire moderne depuis les Lumières.

En NRW, les programmes d’histoire décrétés par le ministère à Düsseldorf (les « Kernlehrpläne » toujours donnés par paire : un pour les 5e à 9e classes, l’autre pour les trois dernières années, la Oberstufe) sont également valables pour les cours d’histoire bilingues. Sauf concernant l’Abitur, il n’y a quasiment ni restrictions ni rajouts. Il incombe donc aux professeurs de découper ou de remanier les sujets historiques de manière à ce qu’ils conviennent aux exigences de l’enseignent bilingue et qu’ils deviennent fertiles pour celui-ci. Seule instruction : l’encouragement de la « compétence interculturelle » et de la « Bilinguale Diskurskompetenz » (compétence bilingue pour le débat et la réflexion historique). A interpréter par le professeur !

Jetons un œil à la dimension interculturelle des thèmes traités. On a déjà vu qu’il faut rapporter la formule de l’interculturalité aux deux espaces culturels, à voir celui de la L1 et celui de la L2.

Autrement dit : les sujets du cours d’histoire bilingue doivent être pertinents, dans la mesure du possible, à la fois pour la culture (historique) allemande et pour la culture (historique) française. Le modèle fréquemment cité du « triangle bilingue », d’après Wolfgang Hallet, illustre bien cette idée (cf. fig. 2). Il va de soi que ce filtre convient parfaitement à certains sujets historiques (comme Napoléon, la guerre franco-prussienne, les deux Guerres mondiales) alors qu’il provoque des problèmes incontestables et exige une grande créativité pour d’autres (p. ex. la République de Weimar, la RDA).

Pour l’instant, concentrons-nous sur l’aspect linguistique. L’expression « Bilinguale Diskurskompetenz » et la contrainte du programme d’histoire régulier (non-bilingue) impliquent incontestablement l’obligation d’un apprentissage dans les deux langues. Ainsi les profs sont-ils chargés de décider au cas par cas celle des deux langues qu’il faut mettre en avant. Il est évident que la compétence linguistique des élèves est d’une importance capitale pour ce choix.

A défaut d’un manuel bilingue on travaille généralement avec les manuels d’histoire-géo français, ce qui suffit parfaitement pour répondre à l’exigence d’utiliser le plus possible des matériaux authentiques. Mais assez souvent les élèves allemands sont tout simplement dépassés par les textes d’information en français (par ceux dans les livres allemands aussi, d’ailleurs !). Dans le domaine des sources primaires se pose une deuxième question : comment traiter les documents de langue allemande ? L’exigence d’une authenticité maximale des sources qu’on utilise exclut la possibilité de les traduire en français. Restent donc deux options : chercher une source alternative en français (qu’il faut trouver d’abord !) ou bien utiliser les textes allemands. Dans ce dernier cas il faut trouver un mode de didactisation en langue française (p. ex. par les consignes et les textes que les élèves doivent produire). Tout cela montre que l’étayage (le Scaffolding de J. Bruner) est un aspect crucial de la conception et de la préparation des cours bilingues. Le terme implique la mise en place d’un échafaudage autour des textes (ou images), c’est-à-dire qu’il faut construire des mesures de soutien pour le processus d’apprentissage, qui aident les élèves à surmonter des difficultés linguistiques et non-linguistiques. Ceci s’effectue par exemple par de simples annotations lexicales, mais aussi par des questions-clés ou des éléments graphiques.

En NRW, les élèves des sections franco-allemandes commencent d’habitude le cours d’histoire bilingue en 8e classe (cf. fig. 1). A ce moment, ils apprennent le français de façon plus ou moins intense depuis déjà trois ans, ce qui aboutit souvent à des résultats remarquables. Toutefois, ils ne sont guère capables de comprendre et de discuter les textes originaux en français, d’autant plus que le langage technique en histoire est à peine développé en langue maternelle. Leurs expériences dans ce domaine se limitent en effet à une seule année d’histoire en allemand, souvent avec une interruption d’une année scolaire, car l’histoire est l’une des matières qui n’est pas enseignée dans toutes les classes. Ceci montre bien l’enjeu : promouvoir les compétences à la fois au niveau des langues et en histoire en tant que discipline spécialisée. N’oublions jamais qu’il faut encore enthousiasmer les jeunes pour la matière la plus captivante, la langue étrangère et la plus belle du monde (au risque de laisser place à un découragement profond) !

Conclusion

Comme on le sait, les professeurs allemands enseignent, sauf à de rares exceptions, deux matières. Ceux qui enseignent l’histoire bilingue sont toujours par leur formation à la fois des professeurs d’histoire et des professeurs de français. Le grand défi est alors de ne pas abuser du cours d’histoire en faveur d’un cours de langue « prolongé ». Mais, à l’inverse, il faut aussi éviter un cours d’histoire « normal », quasiment traduit en français, dont la qualité interculturelle se contente d’enrichir l’enseignement d’un concept par des listes de vocabulaire. Certes, il y a aujourd’hui quelques possibilités de formation dans le domaine très spécialisé de l’enseignement bilingue. Mais, finalement, nous sommes des combattants solitaires, qui devons chercher l’échange avec les collègues. Il y en a peu, mais comme l’expérience le prouve, ils sont énormément motivés !

Liens :


[1] Florian Niehaus est formateur en histoire et en histoire bilingue pour le Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Il enseigne au Gymnasium Sankt Leonhard à Aix-la-Chapelle qui fait partie du réseau de l’association Libingua.

Territorialité et gentrification à Berlin : approche géohistorique

Par Sebastian Jung[1],

Berlin a changé. Ce leitmotiv des germanistes français tout comme des Berlinois eux-mêmes fait écho à des complaintes qui résonnent de toutes les métropoles du monde, a fortiori de tous les lieux de tourisme. Qualifiées de boboïsation de ce côté du Rhin, de gentrification (Gentrifizierung ou Verdrängungsprozess dans certaines versions germanisantes) ou de disneylandisation, elles décrivent des processus différents, qui se croisent et s’enchevêtrent et qui au fond décrivent un phénomène d’expropriation, qu’il soit matériel ou symbolique, dont découlent des phénomènes d’identification et de distinction sociales et spatiales.[2]

« La gentrification désigne une forme particulière d’embourgeoisement qui concerne les quartiers populaires et passe par la transformation de l’habitat, voire de l’espace public et des commerces. Cette notion s’insère dans le champ de la ségrégation sociale et implique un changement dans la division sociale de l’espace intra-urbain, qui passe aussi par sa transformation physique. À l’origine, gentrification est un néologisme anglais inventé en 1964 par Ruth Glass, sociologue marxiste, à propos de Londres. Le mot est composé à partir de gentry, terme qui renvoie à la petite noblesse terrienne en Angleterre, mais aussi, plus généralement, à la bonne société, aux gens bien nés, dans un sens péjoratif. Ce nouveau mot a donc à l’origine un sens critique par rapport au processus qu’il désigne. »[3]

Avec le slogan « arm aber sexy », la ville de Berlin se mettait elle-même en scène à la fin des années 2000 comme un espace des possibles. Une pauvreté réelle dans le cadre national, mais qui à l’échelle de la ville et du Land était assumée, comme le décrivait il y a 15 ans Boris Grésillon dans Berlin, métropole culturelle : la politique culturelle volontariste des acteurs publics était à l’origine d’un processus d’anoblissement de certains espaces urbains et d’une manière plus générale d’une transformation de la morphologie urbaine, réalisée en grande partie par des acteurs privés dans une logique marchande.[4]

15 ans plus tard Airbnb est dans toutes les bouches. Alors que la ville /le Land connaît un taux de pauvreté au-dessus de la moyenne nationale et que le rêve d’un cluster des startup se fait attendre, les investissements immobiliers étrangers affluent. Qu’ils soient bavarois, européens ou de fonds de pensions internationaux, pour les résidents la distance joue peu. Les années de luttes pour le lieu emblématique « Tacheles » ont caché des multitudes de micro-luttes, squats par Wohngemeinschaft, Kommune par usines ou aéroports désaffectés.

Si l’étude de la gentrification à Berlin a un sens, c’est moins pour en décrire un processus général et abstrait visible dans toutes les métropoles du monde, c’est-à-dire une vision du haut vers le bas, que par les réactions spatiales multiples venant du bas. Si Berlin est encore un haut lieu du débat de la gentrification (comme l’ont démontré récemment les débats autour de Andrej Holm, spécialiste de la gentrification à Berlin, étiqueté à gauche et écarté de la Humboldt Universität pour des liens avec la Stasi dans sa jeunesse[5]), c’est moins par le processus en lui-même, intimement lié à la mondialisation, que par la territorialité berlinoise. Ce que la géographie française qualifierait d’habiter.

Trois territoires de Berlin se prêtent en particulier à cette analyse, qui ne se confondent que très imparfaitement avec les divisions administratives des Bezirke et dont la dénomination dans l’usage courant traduit aujourd’hui encore la territorialité (illustrations 1) : Prenzlauerberg (Bezirk Pankow), où la gentrification est achevée depuis la fin des années 2000, Kreuzberg, et en particulier la partie Est longtemps dé »signée par son code postal S036, où la gentrification est en cours d’achèvement (Bezirk Friedrichshain-Kreuzberg) et la partie nord du Bezirk Neukölln, touché par la gentrification depuis les années 2010. Mais cette délimitation est elle-même le fruit d’une ancienne dénomination administrative, avant la réforme établissant 12 arrondissements en 2001. L’espace vécu (gelebter Raum) est davantage celui des quartiers (Kiez), généralement centrés autour d’une place ou d’une rue centrale dont ils portent le nom à l’exemple du Wrangelkiez ou Gräfekiez à Kreuzberg (l’illustration 2a reprend en partie cette dénomination en établissant un zonage que l’espace vécu ne connaît pas), que la ville tente de zoner et de gérer à travers les Bezirksregionen (ill. 2b).

Illustrations 1 : Anciens et nouveaux Bezirke de Berlin Source : http://www.wikipedia.de

1a Les Bezirke de 1920 à 2001                     

  1b Les Bezirke depuis la réforme de 2001

Illustrations 2 : Deux dénominations pour des territoires infra-administratifs. Source : http://www.berlin.de

2a Geschäftsstraßen in Kreuzberg                        

2b  Les Bezirksregionen administratives                         

Une telle étude s’inscrit naturellement dans le programme de géographie de la classe de première  centré autour des dynamiques des territoires dans la mondialisation (que ce soit à travers le thème de la compréhension des territoires de proximité, aménager et développer le territoire ou l’Europe dans le monde). Elle se prête aussi à une approche transdisciplinaire avec les cours d’Allemand, tant la gentrification est devenu un sujet de « civilisation allemande » invitant à une étude pour l’Abitur (Sachthema), que ce soit à travers l’étude de films (à titre d’exemple hambourgeois : Fatih Akin, Soul Kitchen), de romans portant sur Berlin (Comme Jan Peter Bremer, Der amerikanische Investor ; Inger-Maria Mahlke, Rechnung offen ; Juliane Beer, Kreuzkölln Superprovisorium ou encore Florian Scheibe, Kollisionen), de court-métrages (comme celui de Hans Weingartner, Der Gefährder sur l’histoire de Andrey Holm) ou de documentaires (comme Rosa von Praunheim, Überleben in Neukölln), sans même évoquer la multitude d’articles de presse, d’expositions d’art (dont de street art) ou de musiques évoquant ce thème.[6]

Une multitude d’approches possibles

L’ampleur du thème et de ses enjeux, de la bibliographie et des angles possibles, la multitude des approches envisageables par des collègues connaissant et visitant régulièrement Berlin avec leurs élèves rendrait caduque une proposition didactique sur un sujet que chaque enseignant saura s’approprier suivant les entrées qui l’intéressent.  Et des angles il y en a : partir de localisation des voitures incendiées (Stichwort : brennende Autos Berlin), de manifestations (Stichwort : Demos Gentrification Berlin), du Street Art, d’articles du quotidien berlinois Tagesspiegel ou de sites collectifs d’habitants, les entrées en la matière sont multiples. Tout autant les exemples de rénovations et réhabilitations contestées, d’aménagements remis en cause (comme Media Spree), de débats locaux autour de l’usage d’un lieu (à l’exemple du trafic de drogue dans le Görlitzer Park). Tout est spatialisé et spatialisable, à l’exemple du tube du groupe de Hambourg aujourd’hui dissout Wir sind Helden, « Denkmal », écrit et composé lors d’une résidence à Kreuzberg, et qui a priori semble bien éloigné de la gentrification quant à son thème : l’amour.

Illustration 3 : Wir sind Helden (Jean-Michel Tourestte), Denkmal, 2004

Illustration 4 :  Skizze des Liedes Denkmal

Legende

Die Geschichte spielt in einem Stadtviertel Das Stadtviertel ist nicht reich (üppig). Blick des Autors
                                                   
Das Denkmal      
„Sie“: Die neuen reichen Einwohner   Die Sängerin will das Denkmal zerstören

L’activité de compréhension linguistique (reposant un exercice cartographique simple) à compléter par les élèves et transcrite en termes spatiaux inscrit pourtant clairement la chanson dans le cadre de la gentrification, c’est-à-dire ici d’une expropriation symbolique rattachée ici au thème de la relation amoureuse.

Au fond, toutes les entrées induisent la question géographique première : Warum hier und nicht dort (pourquoi ici et pas ailleurs)?

Une approche notionnelle par la géohistoire

Ce n’est par conséquent pas par des exemples et des études de cas possibles, mais plutôt par une approche notionnelle que nous souhaitons aborder la question, afin qu’elle puisse servir de trame conceptuelle aux collègues enseignants en discipline non linguistique allemand. Deux processus sont placés au cœur de la réflexion (ill.5), à savoir la territorialité et la gentrification, dont le contact est au cœur des conflits. Les collègues n’auront aucun mal à trouver des documents contemporains sur l’aspect droit du schéma heuristique et qui au fond répondent à un processus qui n’est pas bien différent à Berlin qu’à Paris, Madrid, Londres ou Barcelone. C’est sur la partie gauche, consacrée à la territorialité, spécifiquement berlinoise (ou pour être plus précise spécifique à chaque Kiez), que nous allons nous pencher.

Illustration 5 : Die Gentrification im Spannungsfeld der lokalen Territorialitäten

Les trois espaces envisagés font historiquement partie du Berlin rouge, qui lors de la seconde  élection législative en 1932 plaçait le KPD devant le NSDAP, talonné de peu par le SPD : avec 25% des suffrages à Berlin, le parti nazi était loin de représenter une force majoritaire. Le patrimoine urbain témoigne aujourd’hui encore de ce passé ouvrier, comme la Heeresbäckerei à Kreuzberg, la Kulturfabrik à Prenzlauerberg et la multitude de Mietskasernen aujourd’hui encore visibles. Ils furent aussi les moins touchés par les destructions de la Seconde Guerre mondiale : « l’année zéro » ne fut pas celle de Prenzlauerberg, détruit à 10%, ou de Kreuzberg, détruit à 40%, en comparaison de Mitte (60%) ou de Tiergarten (50%). Une chance qui dans la frénésie de la reconstruction d’après-guerre devint un handicap : alors qu’à l’Est la Karl Marx Allee ou la Alexanderplatz jouirent d’une reconstruction à neuf, Prenzlauerberg ne fut pas touché par la réhabilitation. Du côté Ouest, le S036, la partie orientale de Kreuzberg se trouvait à la périphérie non seulement de Berlin Ouest, mais du rideau de fer à une plus petite échelle, c’est-à-dire un angle mort de l’aménagement urbain durant les années 1950-1970. Rien d’étonnant à ce que ces deux périphéries deviennent à partir des années 1970 des espaces de contestation, à l’Est comme à l’Ouest.

Rien d’étonnant non plus à ce que Prenzlauerberg abrite les églises protestantes au cœur de la révolution pacifique de 1989.[7] Kreuzberg devint quant à lui le refuge des jeunes ouest-allemands fuyant le service militaire en RFA (Berlin étant régi par un statut international, les Berlinois n’effectuaient pas à partir de 1955 de Wehrdienst) avant de se transformer en lieu de la contestation politique, visible lors des manifestation du 30 avril/1er mai avec ses échauffourées annuelles entre punk/alternatifs aujourd’hui qualifiés de black blocks et la police visible surtout à travers le Street Art, importé des Etats-Unis dans les années 1980 (ill. 7b). Dans ces périphéries de la guerre froide, la territorialisation fut avant tout celle des habitants. Die Wende, le tournant de 1990-1991, la réunification et la disparition d’une frontière, tout comme la victoire d’une pensée marchande et de la mondialisation, sonnèrent le glas d’une vie de quartier.

Illustration 7 a: La Hufelandstrasse N° 3 à Prenzlauerberg, 1987 et fin des années 2000.
Sources : http://www.tagesspiegel.de/mediacenter/fotostrecken/berlin/die-hufelandstrasse-1987-und-heute/1948284.html?p1948284=14#image et http://www.geo.de/GEO/fotografie/fotogalerien/65648.html  

Illustration 7b : Les Street Art, expression de la contestation et de la patrimonialisation à Berlin Kollectiv Orangotango « Berlin not for sale » (2014). Source : https://www.goethe.de/de/kul/mol/20930664.html

En reprenant le thème du monopoly, l’œuvre s’oppose à la marchandisation de Berlin. Mais les collectifs d’artistes qui marquent aujourd’hui encore les rues de Kreuzberg (autour notamment de Reclaim your City) n’ont pu empêcher l’ouverture du musée Urban Contemporary Art à Schöneberg en septembre 2017 consacré au Street Art, expression ultime d’un processus de patrimonialisation de leur art, que les « Street Art tour » avaient entamée depuis une dizaine d’années.

Vingt ans après la chute du mur, l’affiche électorale de 2009 de Hans-Christian Ströbele, ancien avocat de la RAF et député des verts du Bundestag entre 1985 et 1987 et de 1998 à 2017 témoigne de cette culture politique particulière, qui marque encore la territorialité de ces quartiers.

Illustration 8 : Affiche électorale de Hans Christian Ströbele (Die Grünen), 2009. Source : stroebele-online.de (consulté le 6 septembre 2017).  

A côté de Marx, assis sur un nuage, toute la panoplie de la contestation (le mouvement antinucléaire, la lutte contre la spéculation financière, la gentrification et l’homophobie, l’antifascisme) dans une ambiance familiale qui rappelle celle des Straßenfeste (les fêtes de rues) de Kreuzberg, autre symbole s’il en est de la territorialité des Kieze berlinois

Conclusion

Un survol géohistorique de l’histoire de ces trois quartiers éclaire cette territorialité de ces Kieze au cœur d’une contestation tant sociale qu’identitaire (au sens le plus local du terme) depuis maintenant deux décennies. Si la gentrification fait autant débat à Berlin c’est évidemment parce que comme ailleurs elle confronte les habitants, économiquement et socialement fragilisés par la mondialisation, à de nouveaux acteurs au capital économique et culturel conséquent. Mais plus qu’ailleurs, ce processus de métropolisation se heurte à des territorialités fortes, ancrées localement, basées sur une histoire et une mémoire longue, ouvrière d’abord, contestataire ensuite parce que située en périphérie durant la guerre froide, avant que la réunification ne place ces espaces au centre et que le processus de gentrification ne s’approprie les expressions culturelles contestataires pour en faire des musées à ciel ouvert.

Dans quelle mesure participons-nous à cette expropriation, demandent certains élèves ? Au fond, ne participons-nous pas, en tant que touristes, à ce processus ? A cette transformation, peut répondre l’enseignant diplomate. A moins de laisser la question en suspens comme une interrogation posée aux citoyens qu’ils sont et que nous sommes.


[1] Sebastian Jung enseigne l’histoire-géographie en section européenne et Abibac au lycée Albert Schweitzer du Raincy dans l’académie de Créteil.

[2] La bibliographie sur la gentrification remplit aujourd’hui des étagères : quelques exemples qui ne prétendent pas à l’exhaustivité : en anglais l’article fondateur de Ruth Glass, « Introduction » in Centre for Urban Studies (dir.), London, aspects of change, Londres, Macgibbon & Kee, 1964, p. XII-XLI ; Neil Smith, The New urban frontier : gentrification and the revanchist city, New York, Routledge, 1996 ;  Loretta Lees, Tom Slater, Elvin K. Wyly, Gentrification, New York, Routledge, 2008 ; en allemand : Hartmut Häußermann, Andrej Holm, Daniela Zunzer, Stadterneuerung in der Berliner Republik. Modernisierung in Berlin-Prenzlauer Berg, Opladen, Leske und Budrich, 2002 ; Andrej Holm, Die Restrukturierung des Raumes. Stadterneuerung der 90er Jahre in Ostberlin. Interessen und Machtverhältnisse, Bielefeld, Transcript Verlag, 2006 ; Andrej Holm, Wir Bleiben Alle! Gentrifizierung – Städtische Konflikte um Aufwertung und Verdrängung, Münster, Unrast-Verlag, 2010 ; en français : Cécile Gintrac, Mathieu Giroud, Villes contestées : pour une géographie critique de l’urbain, Paris, Prairies ordinaires, 2014 ;  Alexis Lebreton, Grégory Mougel, « La gentrification comme articulation entre formes urbaines et globalisation : approche comparative entre Londres et Berlin », in Espaces et sociétés, n°132-133, 2008 ; Elsa Vivant, Eric Charmes, « La gentrification et ses pionniers : le rôle des artistes off en question », in Métropoles, n°3, 2008 ; Neil Smith, « La gentrification généralisée : d’une anomalie locale à la « regénération » urbaine comme stratégie urbaine globale », in C. Bidou-Zachariasen (dir.), Retours en ville,  Paris, Descartes & Cie, 2003,  pp. 45-72.

[3] Anne Clerval, « Gentrification », in http://www.hypergeo.eu/spip.php?article497.

[4] Boris Grésillon, Berlin, Métropole culturelle, Paris, Belin, 2002.

[5] Ralf Schönball, «Brachte die Immobilienbranche»Holm zu Fall?, Der Tagesspiegel, 19 janvier 2017; Anja Kühne, « Das fliegt der Humboldt um die Ohren », Der Tagesspiegel, 21. Janvier 2017.

[6] A titre d’exemples non exhaustifs pour la seule ville de Berlin : Drob Dynamic, « Wir alle sind es leid » ; Protokumpel, « Gentrifiziert eure Mutter » ; T. Wonder, « Plattenbau » ; Die goldenen Zitronen, « Der Investor »; le groupe berlinois de death et trash métal, « Gentrification Berlin », a fait de ce processus non seulement l’objet de ses morceaux (en anglais), mais aussi de son nom.

[7] Florian Henckel von Donnersmarck situe d’ailleurs dans la Hufelandstrasse à Prenzlauerberg l’histoire de La Vie des Autres.

Les féminismes allemands de la première vague. La racialisation de la question du genre

par Jennifer Meyer[1], Morwenna Coquelin[2]

En général, le féminisme est associé à une vision progressiste de la société et placé à gauche de l’échiquier politique. Or une étude plus fine montre que de profondes divisions traversent les mouvements de lutte pour l’émancipation des femmes et qu’il faut en réalité parler des féminismes. Ces divisions proviennent des différentes conceptions de la féminité et de la masculinité, des rôles socio-culturels assignés aux femmes et aux hommes, ainsi que des rapports de pouvoir qui sont censés en découler, et partant, de la place des femmes dans la société, mais également d’autres catégories de pensée comme celles de la classe et de la « race ».

On présentera ici des réponses allemandes du premier xxe siècle au débat sur la « question féminine » (Frauenfrage) pour montrer comment, dans ce contexte de fragile démocratie et de montée de la droite extrême, la question du genre fut aussi et largement associée à la question raciale. Ce panorama s’inscrit dans le programme de Première Abibac, avec la question de la montée des extrêmes dans la République de Weimar et la thématique optionnelle de l’évolution de la place des femmes dans la société.

1 – Premiers mouvements féministes : un héritage varié 

Les associations patriotiques (1813-1815) : un proto-féminisme ?

Le moment fondateur de la lutte pour l’émancipation des femmes allemandes eut lieu lors des guerres napoléoniennes : suite à l’invasion et à la montée des revendications nationales, des femmes se regroupèrent dans près de sept cents associations féminines et patriotiques, dont la plus importante était l’Association des femmes pour le bien-être de la patrie (Frauenverein zum Wohle des Vaterlandes). Ne pouvant s’engager aux côtés des soldats, malgré l’existence de travesties héroïques[3], les femmes prirent part à la vie politique et militaire par le biais de la collecte de dons en argent ou en nature, le tricotage de chaussettes, le raccommodage de drapeaux ou encore le soin aux blessés. Elles construisirent ainsi un front de l’arrière (Heimatfront) dont la mémoire rejoua à plein lors de la Première Guerre mondiale. Bien que ces associations aient dû se dépolitiser après 1815 pour devenir de simples associations de solidarité et de charité, elles sont considérées comme une forme de proto-féminisme dans l’histoire allemande. La révolution de 1848 constitua un second moment charnière dans le combat pour les droits des femmes.

Les pionnières de 1848

            Au cours de la Révolution de 1848, les pionnières du féminisme allemand firent de l’accès des femmes à l’éducation et au travail leur priorité. Louise Otto-Peters (1819-1895) fut la première à revendiquer l’égalité civique mais l’Assemblée nationale de Francfort refusa d’inclure les femmes dans la citoyenneté civique en décembre 1848 et leur interdit même au printemps 1850 de participer à des réunions politiques ou d’être membres d’associations politiques. Dès 1849, L. Otto-Peters critiqua l’exclusion des femmes des idéaux démocratiques et libéraux de la révolution de 1848 par le biais de son journal, la Frauen-Zeitung (Journal des femmes), interdit en 1850 en Saxe puis en 1853 en Prusse.

Seul succès des années révolutionnaires, la fondation de l’Ecole pour femmes (Hochschule für das weibliche Geschlecht) en 1850 permit aux jeunes femmes non mariées d’être formées aux soins aux malades et aux personnes âgées ainsi qu’à l’éducation des enfants. Sa fondation avait été inspirée par le « Mouvement des jardins d’enfants » qui portait des revendications progressistes d’accès à l’instruction, condition essentielle de la démocratisation de la société tout autant que de l’émancipation féminine[4]. Cependant, la Prusse interdit les jardins d’enfants en 1851, forçant ainsi la Hochschule à fermer ses portes un an plus tard.

L’institutionnalisation du mouvement féministe bourgeois sous l’Empire.

            Sous l’Empire, l’accès à l’instruction constitua la principale revendication du mouvement d’émancipation des femmes, organisé en larges associations féminines dès 1865. D’obédience différentialiste, la majorité des féministes de la seconde moitié du xxe siècle postulait l’existence de capacités spécifiquement féminines, comme l’aptitude « naturelle » à soigner et éduquer, qu’une société bien ordonnée devait valoriser. L’accent mis sur la différence et la complémentarité des sexes fut ainsi utilisé avec succès pour défendre l’instruction des femmes et créer des emplois. Cependant, il tendait à réduire le combat féministe à la seule sphère culturelle, acceptait une stricte répartition sexuée du travail, et ne remettait pas en cause les inégalités fondamentales entre les sexes[5].

En outre, le combat pour l’accès à l’éducation puis pour la formation des jeunes filles était pour l’essentiel un combat bourgeois, prenant peu en compte les luttes spécifiques des femmes prolétaires. Néanmoins, l’engagement des féministes dans ce domaine, menées par Helene Lange (1848-1930) et sa célèbre « Brochure jaune » (Gelbe Broschüre), finit par entrainer la réorganisation de l’enseignement des jeunes filles dans le Bade (1900), en Saxe (1906) et en Prusse (1908).

Enfin, le féminisme de la première vague s’impliqua beaucoup dans les questions dites « morales » comme l’abolition de la prostitution ou la lutte contre la traite des jeunes femmes. La Ligue des femmes juives (Jüdischer Frauenbund) créée en 1904 par Bertha Pappenheim (1859-1936) s’y consacra jusqu’à sa dissolution en 1939.

2 – La question de l’éducation et de l’égalité civique

Les combats pour l’émancipation féminine ne se limitaient pas à l’éducation, mais visaient aussi l’égalité civile et civique. La création de l’Etat allemand fut de ce point de vue une déception pour les féministes : loin de transformer en profondeur le droit familial, le nouvel Etat conserva aux maris et aux pères leurs privilèges. L’Association pour le bien-être des femmes (Verein Frauenwohl) de Minna Cauer et l’Association de protection juridique pour les femmes (Rechtsschutzverein für Frauen), sous l’impulsion de Marie Stritt, militèrent dès les années 1890 pour une transformation du droit. A partir de 1894, la Ligue des associations féminines allemandes (Bund Deutscher Frauenvereine, BDF) rassembla la grande majorité des associations féministes bourgeoises de l’Empire, tandis que les femmes socialistes et marxistes préféraient lutter au sein de leurs partis, même si elles ne purent y adhérer officiellement qu’à partir de 1908.

Sous l’impulsion de Bismarck, et malgré des restrictions liées à la nationalité, l’âge, le lieu de résidence ou la capacité (ne pas être sous tutelle ou coupable d’un crime), plus ou moins importantes selon les Länder, le suffrage universel masculin fut institué pour les élections du Reichstag. Les voix en faveur de l’égalité civique se firent entendre de nouveau avec notamment la création de l’Association générale des femmes allemandes (Allgemeiner Deutscher Frauenverein) par L. Otto-Peters et Auguste Schmidt en 1865 et la parution de deux essais d’Hedwig Dohm (1831-1919) sur la condition féminine dans les années 1870[6].

Les féministes bourgeoises dites modérées recoururent à un discours différentialiste, défendant la nécessité d’une représentation des intérêts typiquement féminins, jusqu’alors ignorés, et louant la transformation possible de la politique grâce aux qualités féminines, vers un monde plus juste et plus doux. Sous l’impulsion d’Helene Lange et Gertrud Bäumer, féministes majeures du tournant entre les xixe et xxe siècles, ce discours valorisait les qualités et contributions féminines mais limitait la sphère d’influence des femmes aux domaines familial, social et culturel. L’idée d’une « égalité dans la différence » qui traversait cette ligne argumentative permit au mouvement féministe de la première vague de justifier son combat, mais ne transforma pas la division sexuée du travail dans son ensemble, voire la renforça.

En revanche, les féministes bourgeoises radicales, minoritaires, comme H. Dohm, M. Cauer et Anita Augspurg, considéraient la participation politique des femmes comme un droit de l’Homme (Menschenrecht) universel et intangible. Si pour les modérées, le droit politique des femmes était donc « avant tout une question culturelle ayant pour objectif de mettre en avant une ‘spécificité féminine’ comme complément et correctif du caractère unilatéralement masculin de tous les domaines de la vie », pour les radicales « il s’agissait d’une question de droit » concernant tous les êtres humains[7]. Les divergences de point de vue et d’argumentation entre féministes différentialistes et féministes universalistes (ou égalitaristes) étaient particulièrement vives à propos du droit de vote. En témoigne la diversité des positions représentées au sein de l’Alliance internationale pour le suffrage des femmes, fondée en 1904 à Berlin.

Quant aux socialistes rassemblées autour de Clara Zetkin (1857-1933) et de l’Internationale des femmes, elles considéraient l’égalité au travail et l’indépendance économique comme la condition première de l’émancipation des femmes et revendiquaient le droit de vote dans le cadre de la lutte des classes. L’organe des femmes socialistes, Die Gleichheit, en était le porte-voix et en 1891, sous la direction d’August Bebel, le Parti social-démocrate allemand inclut la revendication d’un droit de suffrage réellement universel dans son Programme d’Erfurt. Cependant, il fallut attendre la Révolution de Novembre en 1918 et l’instauration de la République de Weimar pour que les femmes allemandes soient pleinement incluses dans la citoyenneté politique.

3 – Un glissement conservateur du féminisme après 1914

Les conséquences de la Première Guerre mondiale

            Le conflit renforça les dissensions entre bourgeoises et socialistes ; la rupture se doublait d’une divergence entre patriotes et pacifistes, ce qui entraina un glissement du combat féministe vers des valeurs nationalistes et conservatrices. Certes, les femmes firent usage du droit de vote avec enthousiasme en janvier 1919, où l’on observe un taux de participation féminine de près de 90%. Quarante-et-une députées furent élues – 9,6% du total. Des socialistes comme Luise Zietz et Marie Juchacz, des bourgeoises libérales comme G. Bäumer, Marie-Elisabeth Lüders et Marie Baum en faisaient partie. Mais quelques candidates pour les partis plus conservateurs comme le Zentrum et le Parti populaire allemand (Deutsche Volkspartei) et même monarchistes et ouvertement antiféministes comme le Parti national-allemand du peuple (Deutschnationale Volkspartei, DNVP) furent aussi élues. Malgré leurs différends, les députées optèrent majoritairement pour une stratégie réformiste, et de nombreuses lois améliorant la condition des femmes furent votées sous la République de Weimar, notamment en matière de politique familiale, sociale et du travail.

Cependant, les avancées indéniables des droits des femmes pendant les années vingt, les conflits entre les différentes approches et revendications, ainsi que le développement du fossé générationnel entre les féministes de la première génération et celles de la génération de la « nouvelle femme » (Neue Frau) expliquent la baisse de popularité du mouvement féministe pendant la République de Weimar.

Le féminisme d’extrême-droite dans les années 1930

Bien que le BDF affichât toujours son apolitisme, il était cependant largement influencé par des femmes conservatrices et nationalistes au début des années trente. Sa présidente Agnes von Zahn-Harnack (1884-1950) publia dès 1932 un rapport présentant l’instauration en Allemagne d’un Etat corporatiste sur le modèle de l’Italie mussolinienne comme l’unique solution à la crise du système parlementaire et G. Bäumer, d’un ton résigné, affirmait la même année qu’il importait peu que, lorsque l’on posait la question de la place des femmes, l’Etat fût parlementaire, démocratique ou fasciste. La question du genre semblait de plus en plus déconnectée du combat démocratique.

La mise au pas (Gleichschaltung) des associations féminines et féministes eut lieu dès 1933. Le BDF opta pour la dissolution même si G. Bäumer se montra prête à de nombreuses concessions afin de maintenir la parution du journal Die Frau (La femme) qu’elle codirigeait. Un nombre croissant de femmes völkisch[8] et nazies s’exprimèrent ainsi dans ce journal jusqu’en 1944. En revanche, toutes les associations de femmes nationalistes et conservatrices, comme les associations patriotiques de femmes (väterländische Frauenvereine), les associations de femmes au foyer (Hausfrauenvereine) et les associations agricoles de femmes (landwirtschaftliche Frauenvereine) se rallièrent immédiatement au Front allemand des femmes (Deutsche Frauenfront) créé dès mai 1933 par les nazis.

Les cadres d’interprétation des rapports de genre de la droite radicale et du national-socialisme pouvaient en effet rejoindre les théories des féministes différentialistes.

4 – La thèse du patriarcat originel : racialisation des rapports de genre (1)

Sous l’Empire et pendant la République de Weimar, les antiféministes produisirent également un discours théorique. La réflexion sur les rapports de genre des défenseurs de la supériorité masculine postulaient, comme les féministes différentialistes, l’existence de qualités spécifiques à chaque genre : la préservation de ces qualités et de la place des hommes et des femmes garantissait l’ordre social. Au sein de la droite radicale, le non-respect des différences de genre et le désordre social étaient interprétés par ces penseurs masculinistes dans un schéma raciste et antisémite.

Ainsi, dans son Mythe du vingtième siècle[9] paru en 1930, Alfred Rosenberg (1893-1946) expliquait les causes du déclin allemand par le « chaos racial et sexuel » (Rassen- und Geschlechtschaos) issu des Lumières. Le patriarcat était posé comme un élément constitutif de l’ordre social et de l’identité, mais aussi de la supériorité, de la « race nordique »[10]. L’association entre race nordique et patriarcat n’était pas neuve : on la trouvait déjà chez le germaniste Hans Günther (1891-1968), dans sa Rassenkunde des deutschen Volkes (Raciologie du peuple allemand) de 1922[11]. La moralité propre de la race nordique y était notamment caractérisée par le patriarcat, organisation sociale fondée sur la confiscation du pouvoir par les hommes, mais aussi garant du dimorphisme sexué et donc de la survie de la race. A l’inverse, la race juive y était caractérisée par une indifférenciation des sexes conduisant à la déviance sexuée et sociale. Günther reprenait les stéréotypes antisémites de l’homme juif efféminé et de la femme juive virilisée ou lascive colportés depuis la fin du xixe siècle.

Rosenberg dénonçait alors le féminisme comme un mouvement « juif », opérant une masculinisation des femmes et une féminisation des hommes dans le but de détruire la race nordique. L’homme seul devait « être et rester juge, soldat et dirigeant de l’Etat » tandis que les femmes étaient appelées à retourner dans la sphère domestique et à se consacrer à leur mission première : la maternité. La condamnation de l’égalité entre femmes et hommes allait de pair avec l’établissement d’une hiérarchie raciale et la condamnation implacable du métissage.

            Les réponses féministes à ces thèses prirent plusieurs formes et portèrent sur différents points – l’asymétrie des rapports hommes/femmes, la question de la « sphère naturelle » des femmes, ou le cadre antisémite et raciste dans lequel était pensé le patriarcat originel.

5 – Le matriarcat originel : racialisation des rapports de genre (2)

L’importance des courants conservateurs et nationalistes au sein du mouvement féministe allemand explique aussi la réception très large des théories de hiérarchie des races, et une réponse raciste à la thèse du patriarcat originel. La racialisation des rapports de genre fut aussi pensée au profit des femmes – du moins de certaines femmes.

La thèse du matriarcat originel, que l’on trouve à l’origine sous la plume de Johann Bachofen (1815-1887) en 1861[12], fut largement discutée et commentée dans les années 1930 à la suite de la traduction par Hermann Wirth (1885-1981), philologue néerlandais national-socialiste, de la Chronique d’Ura-Linda[13]. Le texte original est un faux, forgé très probablement au xixe siècle, mais qui connut un grand succès en Allemagne au sein des mouvements ésotériques et de la droite radicale. C’est une relecture et une mise en relation de plusieurs mythes cosmogoniques, en particulier la Genèse et l’Atlantide de Platon[14], contribuant à l’« ethnicisation de l’idée matriarcale »[15]. Féminisant l’histoire des trois fils de Noé[16] devenus les trois mères originelles de l’humanité, Lyda la Noire, Finda la Jaune et Frya la Blanche, la Chronique établissait une hiérarchie des races et affirmait que le peuple allemand était de race nordique, allant ainsi dans le sens de la droite radicale allemande. Cependant, sa description de l’ordre des sexes d’une supposée race blanche originelle qui aurait conquis l’Europe provoqua la critique de cette même droite radicale : la direction était assurée par de puissantes matriarches et prêtresses et les femmes y avaient un important pouvoir religieux, social et, ponctuellement, politique. Enfin, le passage du matriarcat originel au patriarcat était compris dans une perspective raciale. Alors que Bachofen l’expliquait par l’avènement du christianisme et estimait qu’il s’agissait d’un progrès universel et bénéfique, la Chronique Ura-Linda le mit en scène par l’attaque de « races orientales » – comprendre : juives – à l’origine d’un choc des cultures et du déclin racial. Or si Wirth critiquait ce déclin racial et le monde industriel moderne, hostile à la nature, pour leur prétendue origine « orientale » il ne plaidait pas pour que le matriarcat soit rétabli. Il ne s’agissait, à l’aide de ce texte, que de légitimer un Etat proche de la nature, archaïque et antimoderne, porté par le national-socialisme.

Cependant, puisque la Chronique pouvait être aussi mobilisée par les partisan·e·s d’une avancée, même modérée, des droits des femmes, la majorité antiféministe de la droite radicale allemande insista sur son authenticité douteuse et accusa Wirth de vouloir nuire au peuple allemand en diffusant des idées contraires à sa vision d’une race nordique patriarcale et virile. Là encore, on ne trouve pas d’unité autour de la question raciale, dès lors qu’elle est mêlée à la question du genre – et inversement.

6 – Le « racial-féminisme » de Sophie Rogge-Börner : une réponse antisémite à la « question féminine » (3)

            Malgré leurs désaccords, partisan·e·s du matriarcat ou du patriarcat originels se rejoignaient sur de nombreux points : la racialisation et l’essentialisation de l’ordre des sexes ; l’identification d’une dégénérescence de la race nordique, attribuée à la race juive ; la propagation d’une vision différencialiste des rôles des sexes, assignés à des sphères distinctes et hermétiques. Cela établissait un rapport de pouvoir asymétrique, favorisant les hommes au sein d’une race nordique épurée des influences supposément juives. Ce programme fit l’objet de critiques par des femmes de la droite radicale, qui tentèrent de reformuler un projet féministe dans ce cadre antisémite et raciste.

            Un mouvement féministe völkisch se constitua ainsi dans les années vingt. Sophie Rogge-Börner (1878-1955) en était l’une des figures de proue et une bonne représentante du milieu dont étaient issues ces féministes : fille d’un officier prussien, elle fut formée comme enseignante, épouse d’un médecin militaire, son engagement politique naquit de la défaite allemande en 1918[17]. Dès lors, elle proposa une lecture féministe des théories raciales s’appuyant sur la mythologie nordique et Tacite, tentant de convaincre la droite radicale de la suivre dans sa défense des droits des femmes de « race nordique-germanique ». En effet, d’après elle, l’égalité des sexes y aurait régné, tandis que les femmes étaient opprimées au sein de la race juive, forcément inférieure. Pour elle comme pour Wirth, le déclin de la race nordique-germanique avait été causé par l’instauration du patriarcat « juif », contre-nature et fatal, à la suite des phénomènes migratoires, de l’occupation romaine et de la christianisation.

Les femmes de race nordique-germanique, privées de leur liberté, auraient alors été reléguées aux seules tâches domestiques et reproductives dans la sphère privée. S. Rogge-Börner allait jusqu’à affirmer que le patriarcat avait construit des différences artificielles entre les sexes afin de justifier a posteriori l’oppression des femmes. Mais alors qu’elle avait une conception essentialiste de la catégorie de race, elle estimait que la différence des sexes et, partant, la domination masculine, n’avaient pas de fondements naturels mais résultaient d’une dégénérescence à combattre. Persuadée que les femmes devaient tout comme les hommes accéder à un pouvoir politique, économique, religieux et militaire, elle rejetait le féminisme différentialiste qui revendiquait une simple extension de la sphère féminine.

Ici également, on constate une racialisation des rapports de pouvoir entre les sexes, mais selon une logique et pour un but contraires à ceux de la majorité de la droite radicale antiféministe. Appelant les femmes « conscientes de leur germanité » à lutter contre le « patriarcat juif », S. Rogge-Börner critiqua avec virulence la mise au pas (Gleichschaltung) des associations féminines en 1933. Avec son journal mensuel Die deutsche Kämpferin. Stimmen zur Gestaltung der wahrhaftigen Volksgemeinschaft (La combattante allemande. Voix pour la formation d’une véritable communauté du peuple, 1933 à 1937), elle adressa des critiques sévères au régime national-socialiste pour sa « politique féminine » et fit l’objet d’une surveillance puis d’une censure.

            Le racial-féminisme de Sophie Rogge-Börner s’élabora dans un contexte de radicalisation et de racialisation de la vie politique allemande. Sa pensée découlait d’une naturalisation et d’une racialisation des relations de pouvoir entre les sexes, lui permettant aussi d’inventer une nouvelle argumentation antisémite opposée à la rhétorique de la droite radicale, qui faisait des féministes des « agents juifs ». En identifiant l’avènement du patriarcat comme signe du déclin racial de la race nordique-germanique, elle faisait également de l’émancipation féminine une condition vers le renouveau racial passant par une politique d’éducation mixte et égalitaire entre les sexes.

S. Rogge-Börner peut être vue comme le point d’aboutissement d’un glissement de certains discours féministes allemands vers la droite radicale. Elle produisit ainsi un sujet spécifique du féminisme : de sexe féminin, de race allemande, c’est-à-dire « non juif », et principalement de classe sociale dominante. On assiste ainsi à l’établissement d’une « norme racisée de genre »[18] – femmes allemandes vs. femmes juives – et d’une norme racialisée des rapports de pouvoir entre les sexes – égalité germanique des sexes vs. patriarcat juif. On voit bien comment furent coproduits ici, dans ce contexte de radicalisation de la vie politique allemande, l’antisémitisme et le féminisme. S’il est indéniable que la droite radicale était majoritairement opposée à l’émancipation des femmes, l’étude des variations des discours sur le genre révèle que l’antisémitisme, mobilisé au nom de l’égalité entre femmes et hommes, pouvait servir de soubassement à un projet féministe. Cela met en évidence la perméabilité de la culture antisémite aux idées féministes, et inversement. Cela appelle aussi à confronter ces projets féministes à celui du mouvement féministe démocratique du xixe siècle. L’étude des féminismes doit les replacer dans leur contexte, dans leurs évolutions, et penser aussi les articulations entre catégories politiques – race, genre, classe[19].

Bibliographie sélective :

Stefan Breuer, Die radikalen Rechte in Deutschland 1871-1945. Eine politische Ideengeschichte, Stuttgart, Reclam, 2010.

Liliane Crips, « Une revue ‘national-féministe’ : Die deutsche Kämpferin 1933-1937 », in Rita Thalmann (dir.), La Tentation nationaliste. Entre émancipation et nationalisme. La presse féminine d’Europe 1914-1945, Paris, Deuxtemps Tierce, 1990, p. 167-182.

Elsa Dorlin, Sexe, genre et sexualités. Introduction à la théorie féministe, Paris, Presses universitaires de France, 2008.

Elsa Dorlin, « Vers une épistémologie des résistances », in Ead. (dir.), Sexe, race, classe, pour une épistémologie de la domination, Paris, Presses universitaires de France, 2009, p. 5-18.

Ute Gerhard, Frauenbewegung und Feminismus. Eine Geschichte seit 1789, Munich, Beck, 2009.

Jennifer Meyer, « Mouvement völkisch et féminismes en Allemagne. Une approche intersectionnelle à partir de l’exemple de Sophie Rogge-Börner (1878-1955) », in Patrick Farges et Anne-Marie Saint-Gilles (dir.), Le premier féminisme allemand 1848-1933. Un mouvement social de dimension internationale, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 213, p. 77-90.

Uwe Puschner et G. Ulrich Grossmann (dir.), Völkisch und national. Zur Aktualität alter Denkmuster im 21. Jahrhundert, Darmstadt, WBG, 2009.

Angelika Schaser, Frauenbewegung in Deutschland 1848-1933, Darmstadt, WBG, 2006.

Ina Schmidt, « Die Matriarchats-Patriarchats-Geschlechterrealitätsdiskussion unter NationalsozialistInnen in der Weimarer Republik und NS-Zeit », in Ilse Korotin et Barbara Serloth (dir.), Gebrochene Kontinuitäten? Zur Rolle und Bedeutung des Geschlechterverhältnisses in der Entwicklung des Nationalsozialismus, Innsbruck, Studienverlag, 2000, p. 91-130.

Christine Streubel, Radikale Nationalistinnen. Agitation und Programmatik rechter Frauen in der Weimarer Republik, Frankfurt/Main-New York, Campus Verlag, 2006.

Françoise Thébaud, « Penser la guerre à partir des femmes et du genre. L’exemple de la Grande Guerre », Astérion, 2, 2004. En ligne : http://asterion.revues.org/document103.html [dernière consultation le 17 septembre 2017].

Beate Wagner-Hasel, Matriarchatstheorien in der Altertumswissenschaft, Darmstadt, WBG, 1992.

Eva-Maria Ziege, Mythische Kohärenz. Diskursanalyse des völkischen Antisemitismus, Konstanz, UVK-Verlagsgesellschaft, 2002.


[1]  Jennifer Meyer est docteure de l’ENS de Lyon en histoire de la pensée politique et de l’Université d’Erfurt en histoire. Elle a soutenu une thèse sur le racial-féminisme à travers l’exemple de l’écrivaine et journaliste allemande Sophie Rogge-Börner. Ses recherches portent sur les études de genre, l’histoire des féminismes ainsi que l’histoire du nationalisme et de l’antisémitisme.

[2] Morwenna Coquelin enseigne l’histoire-géographie en classe Abibac au lycée Maurice Ravel de Paris. Elle est docteure en histoire.

[3] Ainsi d’Eleonore Prochaska (1785-1813).

[4] La Kindergartenbewegung, inspirée par le pédagogue Friedrich Fröbel (1782-1852), défendait la formation des femmes aux métiers de l’éducation au nom du concept de « maternité spirituelle », et de façon à pourvoir aux besoins des structures nouvellement créées.

[5] Angelika Schaser, Frauenbewegung in Deutschland 1848-1933, Darmstadt, WBG, 2006, p. 29.

[6] Die wissenschaftliche Emancipation der Frauen (1874) et Der Frauen Natur und Recht. Zur Frauenfrage (1876).

[7] Ute Gerhard, Frauenbewegung und Feminismus. Eine Geschichte seit 1789, Munich, Beck, 2009, p. 73.

[8] Ce courant intellectuel et politique nationaliste apparut en Allemagne à la fin du xixe siècle. Le terme recouvre différents groupuscules qui partagent l’ambition de donner aux Allemands une spiritualité païenne puisée dans le romantisme et dans un passé germanique mythifié et fantasmé. Le mouvement conçoit le peuple allemand comme exceptionnel, et devant lutter contre les influences extérieures pour maintenir cette supériorité. Le mouvement völkisch est donc non seulement un mouvement d’exaltation de la germanité mais aussi un mouvement raciste et antisémite inspiré du darwinisme social.

[9] Der Mythus des 20. Jahrhundert. Eine Wertung der seelisch-geistigen Gestaltenkämfe unserer Zeit, Hoheneichen, Munich, 1930 (194 rééditions jusqu’en 1942) fut l’un des soutènements idéologiques du Troisième Reich et articulait néo-paganisme et darwinisme social.

[10] Le terme de race est ici utilisé comme une catégorie de pensée, à l’œuvre dans les théories présentées. Les races dont il est question ici ne sont que les constructions des auteur·e·s racistes cité·e·s dans cet article et ne reflètent que leur compréhension du monde.

[11] H. Günther était connu sous le Troisième Reich comme « Rassengünther » ou « le pape des races » (Rassenpapst) pour ses théories racistes et eugénistes.

[12] J. J. Bachofen, Das Mutterrecht. Eine Untersuchung Über die Gynaikokratie der alten Welt nach ihrer religiösen und rechtlichen Natur, Stuttgart, 1861. J. Bachofen était un juriste suisse.

[13] Die Ura-Linda-Chronik, Leipzig, Koehler & Amelang, 1933.

[14] Dans le Timée et le Critias.

[15] Beate Wagner-Hasel, « Rationalitätskritik und Weiblichkeitskonzeptionen. Anmerkungen zur Matriarchatsdiskussion in der Altertumswissenschaft », in Ead., Matriarchatstheorien in der Altertumswissenschaft, Darmstadt, WBG, 1992, p. 295-373, ici p. 311.

[16] Gn. 9 et 10. La répartition géographique est introduite par saint Jérôme dans Le Livre des questions hébraïques.

[17] Elle rejoignit le Parti national-allemand du peuple en 1919.

[18] Elsa Dorlin, « De l’usage épistémologique et politiques des catégories de ‘sexe’ et de ‘race’, dans les études sur le genre », Les Cahiers du genre, 39, 2005, p. 83-105.

[19] En écho au livre désormais classique d’Etienne Balibar et Immanuel Wallenstein : Race, nation, classe (1988).